Ce matin, j'ai voulu acheter des fleurs. J'aime le lys particulièrement. Ce sont des fleurs guindées, solennelles, qui n'ont pas la sensualité des pivoines, ni la subtilité du jasmin. Etoiles rigides, neiges sirupeuses. Obsédantes et volages sirènes végétales.
Ce n'est pas un geste anodin que de mettre des fleurs dans un vase. C'est une mise à mort. C'est mettre en évidence la fragilité de ce monde, son impermanence, son inexorable cycle de vie et de mort. Toute fleur doit mourir.
Au réveil, deux lys sur trois s'étaient brisés, accablés par le poids de leurs fleurs. Avec un couteau, j'ai coupé les tiges au-dessus de leur blessure. Les fleurs continuent de s'ouvrir, grasses, blanches, tachées d'orange. L'eau leur monte plus vite à la tête- l'eau et peut-être la solitude, le silence, la jouissance de vivre sans prudence aucune.
Christian Bobin
Et puis finalement, j'ai renoncé aux lys. Je suis rentrée chez moi, les mains vides, sans fleurs. Mais dans la rue, je marchais, le coeur flottant bien au-dessus du gris, du froid, de la lourdeur.
Au fond de moi, un champ de lys infini, à perte de mémoire. Des lys ouverts et blancs derrière tous les brouillards de l'hiver. Des lys ivres de ce printemps permanent à l'intérieur de moi. Dans l'eau de ce corps que je porte l'espace d'un souffle. Cette eau destinée à finir en larmes ou en cendres.
Peu importe le vent, la neige ou l'engelure. Peu importe le temps qui brasse la poussière des choses. Les fleurs que je porte à l'intérieur de moi sont éternelles. Je peux les contempler autant que je le souhaite. Elles restent immaculées dans la présence et dans l'absence, dans la joie ou dans les larmes. Voila les seules fleurs que nous devons offrir.
0 échos:
Enregistrer un commentaire