Il y avait un bois sacré, qui, depuis un âge très reculé, n’avait jamais été profané, il entourait de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. Il n’est point occupé par les Pans, habitants des campagnes, les Sylvains maîtres des forêts oules Nymphes, mais par des sanctuaires de dieux aux rites barbares ; des autels sont dressés sur des tertres sinistres et tous les arbres sont purifies par le sang humain. S’il faut en croire l’antiquié admiratrice des êtres célestes, les oiseaux craignent de se percher sur les branches de ce bois et les bêtes sauvages de coucher dans les repaires ; le vent ne s’abat pas sur les futaies, ni la foudre qui jaillit des sombres nuages. Ces arbres qui ne présentent leur feuillage à aucune brise inspirent une horreur toute particulière.
Une eau abondante tombe des noires fontaines ; les mornes statues de dieux sont sans art et se dressent, informes, sur des troncs coupés. La moisissure même et la pâleur qui apparaît sur les arbres pourris frappent de stupeur ; ce que l’on craint ainsi, ce ne sont pas les divinités dont une tradition sacrée a vulgarisé les traits ; tant ajoute aux terreurs de ne pas connaître les dieux qu’on doit redouter ! Déjà la renommée rapportait que les tremblements de terre faisaient mugir le fond de cavernes, que des ifs courbés se redressaient, que les bois, sans brûler, brillaient de la lueur des incendies, que des dragons, enlaçant les troncs, rampaient çà et là. Les peuples n’en approchent pas pour rendre leur culte sur place, ils l’ont cédé aux dieux. Que Phébus soit au milieu de sa course ou qu’une nuit sombre occupe le ciel, le prêtre lui-même en redoute l’accès et craint de surprendre le maître de ce bois.
Cette forêt, César ordonne d’y porter le fer et de l’abattre. Car, voisine des travaux et intacte de la guerre précédente, elle se tenait très épaisse au milieu des monts dénudés. Mais les mains tremblèrent aux plus braves ; vaincus par la majesté redoutable du lieu, ils craignaient, s’ils frappaient les troncs sacrés, que les haches ne revinssent sur leurs propres membres. Quand César vit les cohortes paralysées et clouées sur place, il osa le premier saisir une hache, la brandir et fendre du fer un chêne perdu dans les nues, puis il déclara, quand le tranchant se fut enfoncé dans le tronc violé : « Maintenant, pour que personne de vous n’hésite à renverser la forêt, croyez que c’est moi qui ai fait un sacrilège ». Alors toute la troupe obéit aux ordres, non qu’elle eût banni la crainte et recouvré la tranquillité, mais elle avait mis en balance la colère des dieux et celle de César.
Les ormes tombent, on abat le fût noueux de l’yeuse et le cyprès qui atteste des deuils non plébéiens. Alors pour la première fois, ils dépouillèrent leur chevelure et sans feuillage, ils laissèrent pénétrer le jour ; Malgré la poussée, les troncs se soutinrent dans leur chute. Les peuples gaulois gémirent à cette vue, mais les guerriers assiégés exultent. Qui pourrait penser, en effet, qu’on offense les dieux impunément ? Mais la fortune sauve plus d’un coupable et les dieux ne savent s’irriter que contre les malheureux. Quand il y eut assez de bois coupé, on l’emporte sur des chariots trouvés dans les champs et les laboureurs, voyant les bœufs enlevés à la charrue recourbés, pleurèrent l’année perdue par l’abandon du sol.
Lucain, La Guerre civile, III, 399-452, trad. A. Bourgery, 1926, Paris, Les Belles Lettres.
A suivre...
Illustrations dans l'ordre: Arbre en croix, Sainte Baume, l'arbre Héraclès gardien de la forêt vieil ami (millénaire) que je n'avais pas revu depuis six ans...
Ah les arbres !
RépondreSupprimerPar leur immobilisme et leur force vitale (puissance de la sève), ils symbolisent la vie. Comme l'oiseau ou le papillon, celle-ci vient à eux, et ils l'abritent sous leurs branches. Les arbres sont beaux, et ils le méritent.
Avec toute mon amitié, Oliver
Je suis en train d'organiser mon séjour à Aubagne et mon pèlerinage là-bas justement entre le 26 et le 30 décembre prochains. Qui sait si nous nous y verrons ? En tout cas encore dans le mile pour la synchronicité, je regardais mes billets de train il y a encore 5 minutes sur internet ... :) !
RépondreSupprimerL'arbre sacré c'est l'Axis mundi : présence réelle du pont qui relie la terre au Ciel...
RépondreSupprimerCelui qui profane un tel symbole peut paraître victorieux au dehors, mais en réalité c'est sa propre "sève" spirituelle, sa vitalité ascendante qu'il oblitère par là-même.
Merci pour cette évocation !
@Oliver:Tout comme les arbres qui sont des frères du règne végétal, les hommes sont beaux aussi quand ils réalisent leur vraie nature (celle de relier la terre au ciel!
RépondreSupprimerBien à toi cher Ami du Tao! ;)
@Tempérance:
RépondreSupprimerQue Dieu t'accompagne pour ce pélerinage (ainsi que mon coeur!), quelle bonne idée! Hélas je serai à l'étranger durant cette période mais tu ne seras pas "seule" sois-en sure!
:)
@Frank l'Âmi:
RépondreSupprimer"En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l'alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes pour les doués d'intelligence..."[3:190]
:)