lundi 6 février 2012

Naviguer dans l'obscurité (avec sa poupée)

Dessin personnel au crayon

Elle s'en fut donc. Les bois s'assombrissaient et sous ses pieds des brindilles craquaient, ce qui la remplissait de terreur. Elle plongea la main dans la poche de son tablier et trouva la poupée que lui avait donné sa mère sur son lit de mort. Vassilissa tapota la poupée dans la poche. "Rien que de toucher cette poupée, je me sens mieux", se dit-elle.

A chaque bifurcation du chemin, Vassilissa mettait la main dans sa poche et consultait la poupée.

- Dois-je aller à gauche ou dois-je aller à droite?

La poupée indiquait:"Oui" ou "Non" ou bien "Par ici" ou encore "Par là". Vassilissa lui donna un peu de son pain et se laissa guider par ce qui émanait d'elle.*

Nous remarquons dans ce conte que le rôle de la poupée intervient lorsque Vassilissa a définitivement renoncé à la mère (bonne ou mauvaise) extérieure c'est à dire cette mère fabriquée comme un fétiche au passé rapiécé, tissus de douleurs ou joies anciennes, transmises de génération en génération comme un rappel de toutes les Vassilissa précédentes dans l'histoire familiale. 

Cette poupée est tout ce qui reste sans doute de l'Être originel, minuscule part de soi qu'on trouve un jour, "par hasard" au fond de sa poche, secrètement glissé de mères en filles jusqu'à la délivrance. A moins que sa réapparition survienne justement lorsque nous sommes arrivés à maturation. La terre intérieure a été préparée, labourée par les illusions et les douleurs vives, et il est temps de revenir à soi. La poupée est comme un germe qui naît en soi, un rappel ancien qu'on a du mal à cerner au départ, mais qui nous relie à la sagesse intérieure (Baba Yaga) et ce feu rayonnant qu'elle garde. A son écoute, étrangement, après avoir traversé tant d’épreuves et de défaites amères, on est parfaitement prêt à sentir tout au fond de soi cette sécurité et confiance innée que procure cette petite voix.

Dans la version de Pinkola Estés, il n'y a aucune intervention de la poupée lorsque Vassilissa est tourmentée par sa belle-mère et ses demi-soeurs. Ce n'est que lorsque cette étape est franchie (l'étape de la prise de conscience que les anciens schémas ne fonctionnent plus induisant ainsi de fortes souffrances), lorsque Vassilissa accepte de s'aventurer dans la forêt noire pour retrouver sa flamme intérieure (renoncer ainsi à la chercher à l'extérieur...), que la poupée offre tout naturellement son aide.

Laisser mourir la trop bonne mère provoque une une mort intérieure qui met l'être à nu et laisse remonter les ombres longtemps refoulées (la marâtre). C'est une période délicate car nous sommes soudain désarmés face à la vie,  sans aucun recours possible aux anciens schémas qui ne peuvent plus faire rempart contre les assauts de l'inconscient.
Mais il faut sans doute passer par là pour réaliser à quel point il faut inverser la vapeur et orienter ses énergies vers la découverte de soi. C'est à ce moment délicat par exemple, que nous nous apercevons vraiment combien nous reproduisons toujours les même schémas relationnels, combien nous nous attachons aux même type de partenaires, ou combien nous sabotons sans cesse le moindre élan de notre coeur comme si une part de nous refusait catégoriquement à "réussir" quoique ce soit. 
Comme si une part de nous se sentait "étrangère" à cette vie que nous peinons tant à maîtriser.

Cette part nous semble alors bien cruelle; au moins aussi cruelle que la marâtre et ses filles. 

Et nous "dansons" avec elle une danse macabre qui nous entraîne vers une mort certaine (l'extinction du feu) de cette énergie vitale (ou selon Jung libido) indispensable à toute vie. Nous nous retrouvons alors comme aux prise avec un sortilège ancien, une malédiction ancestrale, à vivre comme un mort vivant, méconnaissable, étranger à nous même... 

Il y a toujours un très mauvais rôle à tenir dans les contes comme dans la vie. On ne peut jamais être totalement "bon" comme parfois de façon infantile on aimerait être. Nos idéaux de perfections font souvent références à des clichés "extérieurs" insufflés par le milieu social, la famille ou une approche religieuse mal comprise. Ils sont vains et irréalisables voire destructeurs. S'y référer continuellement dans le but inavoué d'être aimé plus qu'on estime l'avoir été, dans une soif inextinguible de reconnaissance, conduit à une mort inévitable. A force de conduire à l'aveuglette, on fonce droit dans le mur...

Ce mauvais rôle tenu ici par la marâtre et ses filles est pourtant indispensable à l’initiation de Vassilissa; sans elles, la jeune fille ne trouverait pas la force (du désespoir) de s'aventurer dans ses nuits intérieures (affronter Lilith, ce féminin refoulé...). C'est souvent une souffrance aigüe provoqué par un choc qui nous pousse à aller au-delà de nos peurs les plus archaïques et d'avancer là où on n'est jamais allé.

C'est une étape délicate car la forêt n'est pas sans dangers et la mort nous guette dans l'obscurité. Il faut agir là avec précaution et humilité. S'armer de patience car nous pénétrons là dans un lieu où l'espace-temps n'est plus celui du mental... Imaginez la puissance et l'infinie potentiel d'un inconscient retenant ses énergies refoulés depuis la nuit (Lilith) des temps. Cette force qui maintient à la fois la vie, les cycles qui régissent l'univers et les êtres, et  à la fois la mort ou transformation perpétuelle des énergies...car ne l'oublions pas rien n'est détruit mais tout se transforme...

Comment pouvons-nous affronter cela sans sagesse? 

Survient alors la naissance (ou la renaissance puisque la poupée est transmise comme un cadeau par la mère) de cette part minuscule de la psyché. Minuscule mais semble-t-il, essentielle. La poupée est la voix de Baba-Yaga (de la Grand-Mère sage) qui a germé en nous et va nous conduire à accomplir l'oeuvre alchimique avec toutes les précautions que cela implique. C'est elle qui va nous guider dans ce cheminement, qui va nous permettre de naviguer dans l'obscurité...

*Extrait du conte la belle Vassilissa selon C.Pinkola Estés

3 commentaires:

  1. Chez les enfants, la poupée de chiffon, le bout de tissu, le nounours, le "nin-nin", le "doudou"...c'est le substitut maternel (les psys parlent "d'objet transitionnel", mais je n'aime pas trop ce jargon).
    C'est la poupée, le doudou qui rassure au moment où l'on quitte la chaleur maternelle, où l'on doit faire quelque chose seul.
    A ce moment-là, la petite poupée est comme une "petite maman" qu'on serre contre soi et qui nous donne l'impression d'une présence ...
    Avec la poupée du conte, c'est un peu de la mère du début qui reste avec Vassillissa et qui la soutient dans les épreuves...

    La poupée, c'est aussi la "petite voix" qui lui souffle ce qu'il faut faire...la petite voix de l'intuition...qui sait exactement ce qu'il faut faire, et comment il faut s'y prendre, quand la raison, elle, est impuissante.

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  2. Oui ! La poupée m'évoque ici le fil ténu qui nous relie à Soi, à ce Coeur qui nous guide lorsque nous lui faisons confiance, lorsqu'à un moment donné de nos vies il semble être la seule étoile qui demeure pour nous diriger dans cette obscurité... Si nous avons foi en lui et sommes à son écoute, nous découvrons qu'il souffle en nous "Oui / Non" à chaque bifurcation, sans égards pour nos pensées ni pour nos préférences.
    C'est comme un fil d'Ariane, l'étoile des rois mages, mais ce n'est pas encore l'Enfant, sortie du labyrinthe d'un psychisme qui n'est autre, peut-être, que la matrice qui nous porte et nous nourrit et nous enserre et nous égare... Et de laquelle nous devons naître !

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  3. Oui tu as précisé ce que j'avais omis de faire! Merci!

    Ce rôle de substitut dans le conte est très important car il permet à l'être de se référer à une image, un "archétype" en attendant d'intégrer ces nouvelles énergies naissantes...d'aller vers une plus complète autonomie et donc vers l'unité.

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