Dessin personnel (2005) |
La loba a pour unique tâche de ramasser des os. Elle a la réputation de ramasser et de conserver surtout ce qui risque d'être perdu pour le monde...
...La loba chante toujours, un chant si profond que le sol du désert tremble et pendant qu'elle chante, la bête ouvre les yeux, bondit sur ses pattes et détale dans le canyon.
Quelque part durant sa course, soit du fait de sa vitesse, soit parce qu'elle traverse une rivière à la nage, qu'un rayon de lune ou de soleil vient se poser sur elle, elle se transforme soudain en une femme qui court avec de grands éclats de rire vers l'horizon libre...*
Ma première véritable rencontre avec la vieille sorcière survint de façon inattendue lors d'un voyage chamanique. C'est accompagnée du rythme sauvage du tambour que, pour la première fois, guidée par un immense loup, je suis arrivée devant sa porte au coeur de la forêt.
La ville sorcière porte une multitude de noms, autant de noms que les perles d'os et les cailloux qui ornent son costume fait de bric et de broc. Elle me fit asseoir près du feu sans cérémonie en grinçant des dents. Elle n'eut pas besoin de dire grand-chose. A l'époque, il était urgent pour moi de répondre à l'appel languissant de mon féminin. Cela faisait trop de générations que le féminin était négligé voire malmené. Les femmes de ma famille, réfugiées comme moi derrière leurs masques de victime, en étaient en grande partie responsables. Nous avions négligé notre pouvoir de femme, notre pouvoir ancestral, transmis de mère en fille, en échange de quelques vies en peau de chagrin. La vieille sorcière fulminait. Elle tirait sur sa pipe de grosses bouffées qu'elle me crachait au visage.
Mais son regard était bienveillant; plus que cela, il était usé par une éternité d'amour. La vieille folle m'aimait furieusement sans un gramme de complaisance. Elle ne négligerait rien en moi. Elle allait me démembrer lentement, avec soin, arracher toute la peau, faire fondre la chair au feu du Vrai, détacher tous mes os, les nettoyer, les frotter avec des herbes fraîchement cueillies. Elle recueillerait tout mon sang dans son chaudron et le ferait bouillir jusqu'à complète distillation. Jusqu’à ce que tout mon être revienne au squelette originel.
Quand elle eut fini cette tâche (qui prit quelques mois), elle découvrit d'un air satisfait ses petites dents acérées de vieille louve.
"Il va falloir que tu meures un peu" dit-elle en gloussant comme si cette perspective la mettait en joie, "mais tu vas voir c'est en passant mainte fois par le tamis de la mort qu'on apprend à vivre. Le loup t'accompagnera."
Je suis retourné la voir plusieurs fois; surtout quand j'allais dans la forêt, dans une clairière secrète où j'avais établi ma roue chamanique. Elle me guidait. Je sentais souvent sa présence, son odeur de bois brûlé et son rire grinçant...Le loup me servait de totem. C'est lui qui me guidait, me protégeait fidèlement lors de mes voyages intérieurs.
Un jour ma mère, ignorant tout de mes aventures chamanique, alla consulter un homme clairvoyant. Elle posa des questions sur mon frère et sur moi. Il lui apprit que j'avais été chamane dans une vie antérieure, dans une tribu lapone et que mon animal totem était...le loup.
Je compris que cette vieille sorcière était moi. Que nous ne faisions qu'une. Que nous n'avions jamais été séparé mais qu'elle avait patiemment attendu son heure. Peu de temps après, j'ai traversé le tamis de la mort. Et j'en suis revenue... Peut-être pas encore tout à fait. Je ne sais pas...
La Baba Yaga était une créature absolument terrifiante. Elle se déplaçait non pas dans un chariot ou un carrosse, mais dans un chaudron en forme de mortier qui avançait tout seul dans les airs. Elle dirigeait ce véhicule grâce à un aviron semblable à un pilon, tout en balayant les traces de son passage au moyen d'un balai fait avec des chevelures de morts.
Et le chaudron fendait le ciel, les cheveux gras de Baba Yaga volant au vent. Son long menton se recourbait vers le bas et ils se rencontraient au milieu. Elle avait un petit boue blanc et des verrues sur la peau à force de manipuler les crapauds. Ses doigts tachés de brun étaient épais, annelés comme un toit de tuiles et si incurvés qu'elle ne pouvait fermer le poing.
La maison de Baba Yaga était plus étrange encore. Elle était juchée sur d'immenses pattes de poulet jaunes et se baladait toute seule, quand elle ne tournait pas sur elle-même comme un danseur en transe. Les poignées de portes et des volets étaient faites de doigts d’orteils humains et la serrure de la porte d'entrée était un groin aux nombreuses dents acérées.
Vassilissa consulta sa poupée et demanda:
- Est-ce là la maison que nous cherchons?
Et la poupée répondit à sa manière:
- Oui, c'est bien ce que tu cherches...*
* Textes extraits de femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés
Très joli dessin,Nout, tu dessines vraiment bien !
RépondreSupprimerEt tu sais quoi ? Il y a quelques jours, nous traitions du même sujet, ici :
http://lhommeauboisdormant.blogspirit.com/archive/2012/02/02/jusqu-a-l-os.html
Et en plus, Mabes vient de poster un rêve, sur mon nouveau blog, qui pourrait avoir un rapport avec le "démembrement jusqu'à l'os"...
grandsreves.over-blog.com
De la synchronicité dans l'air ? ;-)
J'ai oublié de te dire que ton texte était magnifique...de poésie et de vécu.
RépondreSupprimerConnais-tu le livre "La chamane blanche" ?
Merci Licorne pour tes appréciations et pour ce lien que je ne connaissais pas...j'aime beaucoup le titre du blog: l'homme au bois dormant...
RépondreSupprimerOui j'ai lu la chamane blanche durant cette période justement! J'ai en fait dévoré quelques bouquinq (dont l'inévitable Castaneda) parce que je "flairais" quelque chose de fort là dedans (plus en moi que dans les livre en fait)...la synchronicité aussi c'est un peu ça...on flaire une piste, quelque chose qui est là, sous terre et qu'il faut gratter pour déterrer, non? ;)
Oui, c'est ça...il faut suivre la piste...avec son flair !
RépondreSupprimerEt on tombe forcément sur ce qui nous convient !
Que de résonnances avec Kali-la-terrible ! Elle aussi se trouve "ornée" de membres et d'os coupés, têtes et bras soustraits aux humains prisonniers du mental et de leur volonté propre, afin de les soustraire à toutes les illusions... C'est drôle, mais pas plus tard que ce week-end j'étais un Lyon pour un stage de "Shivaïsme cachemirien", voie dont les affinités chamaniques ne font pas de doute, et qui s'attache à (re)trouver le contact avec ce Féminin en soi, à travers une présence continue aux sensations, aux émotions, au souffle comme source de tous les mouvements...
RépondreSupprimerL'idée n'est pas tant de s'observer que de tout libérer dans une parfaite fluidité, mais aussi de ressentir les blocages à cette fluidité. Et les blocages se révèlent, bien souvent, non pas tant dans le mental que dans l'identification que l'on construit autour de ce mental : "JE pense donc..." (je suis, j'agis, etc.) Dans cette pratique, Kali est alors invitée à travers certaines visualisation, pour réduire en pièces toutes ces constructions, et dans cette dimension je crois qu'elle rejoint la loba telle que vous l'évoquez ! Merci pour ces citations éclairantes et fort bien choisies !!
Quel stage! :D
RépondreSupprimerCette histoire du souffle (dont nous avons déjà parlé en bifurquant sur la Kabbale) me renvoie aussi au tambour du chamane que je vous invite à écouter en bas de mon message. Il s'agit d'un battement très proche du battement cardiaque, proche de ce que nous pouvons entendre lorsque nous ne sommes qu'à l'état de foetus dans le ventre maternel. C'est à dire à l'origine même de notre être. Il s'agit donc de revenir au souffle originel, aux ossements...afin de retrouver la vérité perdue.
Ces blocages que vous évoquez seraient donc ce qui, avec le temps, l'adaptation nécessaire de l'être au monde, a recouvert le squelette originel. Certaines couches étaient nécessaires, c'est à dire "acquises" en toute conscience, tandis que d'autres ne sont que des armures qui bloquent l'énergie du noyau, du NOM (cf A. de Souzenelle) et donc l'enseignement que du Soi qui peut seul nous guider vers notre devenir, c'est à dire notre transcendance.
Kali telle que vous la décrivez, comme Baba Yaga, sont des archétypes créés par l'inconscient qui ont assez de forces pour dépasser et pulvériser ces armures qui ont tendances à avoir une double fonction sclérosante:
- à savoir nous protéger d'un traumatisme vécu (et donc de son seul souvenir puisque ce qui est passé l'est définitivement)
- mais aussi nous "protéger" du Soi, de notre vérité intérieure qui est seule apte à transcender ce trauma...ce qui est plus embêtant.
La loba est donc un bon compromis pour réconcilier ces deux antagonismes. Elle recèle en un seul personnage, la terreur du traumatisme et la force transcendante du SOI...
Le hasard n'est-il pas Dieu qui voyage incongnito! ;)
Toujours au plaisir de vous lire Frank,
Bien à vous! :)