Lorsqu’elle était étudiante à Stanford, au milieu des années 1990, Sheena Iyengard aimait déambuler dans les rayons d’une grande épicerie fine de la ville voisine de Menlo Park. Bien qu’aveugle, cette jeune femme fluette à la chevelure de jais s’enivrait de la multitude de produits proposés: 3 000 livres de cuisine, 500 variétés de fruits et légumes, 250 sortes de fromage, 150 vinaigres, 75 huiles d’olive, et près de 250 genres de moutardes. En bonne gourmande, elle adorait picorer sur les dizaines de stands de dégustation installés ça et là. Mais elle achetait rarement, ce qui ne laissait pas de l’intriguer. Le paradigme dominant de la culture américaine vante les bienfaits du choix individuel. Mais, si la diversité est une bonne chose, se demandait l’étudiante en psychologie sociale, pourquoi se sentait-elle donc écrasée par une telle abondance?
Auteure d’un livre: The Art of Choosing (l’art de choisir), Sheena Iyengar professeur de commerce à l’université Columbia ne resta pas sur cette simple constatation. Elle décida d’approfondir la question. Elle s’installa dans l’épicerie avec l’accord du commerçant pour tenir une table de dégustation à l’entrée. Suivant un cycle de deux ou trois heures, elle proposa successivement soit une sélection de six parfums différents de confitures aux clients, soit une sélection de vingt-quatre. Le résultat fut que le stand de vingt-quatre attira plus de « goûteurs » tandis que celui de six attira surtout des « acheteurs » Après avoir effectué cette expérience et d‘autres, le constat était que tout le système sur lequel repose l’économie américaine (et occidentale) pouvait être remis en question. Trop de choix favoriserait l’indécision. Bien sûr sa cela éveilla une polémique dans les médias et même la National Public Radio y vit une « attaque contre la vache sacrée de la culture américaine » . Pourtant cette thèse apparemment ne date pas d’hier.
Au XIV ème siècle déjà, un philosophe français Jean Buridan affirma qu’un âne affamé et assoiffé (d’où l’expression « âne de Buridan »), faisant face à simultanément une botte de foin et un seau d’eau, pouvait mourir paralysé par l’indécision.
Il est étonnant aussi de constater que cette jeune chercheuse, Sheena Iyengar étant née dans une communauté sikhe, fut très tôt confrontée au…non-choix vu le nombres d’interdits religieux imposés par sa religion (du port obligatoire de sous-vêtements sous la douche au mariage forcé). De plus, sa possibilité de choix fut encore restreinte lorsqu’à l’adolescence, elle se retrouva atteinte de cécité à cause d’une maladie génétique.
Elle constata suite à de nouvelles études que la notion de choix dépendait de la culture et des conditions de vie dans lesquelles on se trouve. Par exemple, selon une étude qu’elle effectua en 1995 à l’université de Kyoto sur cent étudiants de deux nationalités différentes, elle constata que la possibilité de choisir très importante chez les Américains, est complètement secondaire chez les Japonais.
Des chercheurs ont contesté la thèse de Sheena, reproduisant la même expérience des pots de confiture sans succès ou évoquant la fluctuance des résultats obtenus selon le contexte. Sheena Iyengar se plaint d’être l’objet d’attaques directes de personne ayant un intérêt à démonter sa thèse. La tyrannie du choix reste donc un débat dans les milieux scientifiques mais nous pouvons sans même avoir lu le moindre livre à ce sujet expérimenter simplement cette thèse sur…nous-mêmes. Et nous savons combien l’expérience est supérieure à n’importe quelle thèse.
Comment réagissons-nous devant une surabondance de choix? Comment choisissons-nous et à partir de quels critères? Et surtout que nous procure la sensation d’avoir trop de choix ou pas assez?
De nos choix dépendent non seulement le goût de nos tartines de confiture mais de choses beaucoup plus importantes comme le choix d’un partenaire, d’une maison, d’une action…d’un milliers de choses dont va dépendre toute notre vie. Chaque instant est le carrefour d’une infinité de choix. Alors pourquoi ne sommes-nous pas toujours satisfaits de nos choix? Comment ne pas être satisfait de ce que nous « semblons » avoir choisi en toute liberté? En toute « connaissance de cause »…
Et là nous revenons à un point essentiel: avoir l’embarras du choix, c’est ne pas être totalement libre. Du moins, c’est choisir à partir d’une partie de soi qui n’est pas libre. Qui ne s’est pas déjà retrouvé dans cet état hypnotique dans lequel nous plongent les étalages interminables des hypermarchés?
Avoir le choix permet-il d’être plus heureux?
Dans cette question même se trouve la réponse. L’avoir n’a aucune prise sur l’être. Alors que le contraire…oui.
Avoir le choix entre des mètres de rayonnages de yaourts ne rend ni meilleur ni plus heureux. Au contraire, de façon pernicieuse, cette tyrannie du choix tend à faire croire aux gens qu’ils jouissent d’une sorte de liberté. Je dis une sorte de liberté car il ne s’agit pas de La Liberté. Il ne s’agit que d’un ersatz, une illusion, une liberté en toc qui permet à nos petits égos bien nourris de croire qu’ils sont souverains dans leur vie. Ils peuvent à tout instant « choisir », « décider » du parfum de leur yaourt, de la couleur de leur voiture, du physique de leurs partenaires. Quelle enivrante liberté! Pouvoir à tout instant choisir parmi une palette infinie de plaisirs, de sensations, éphémères et superficielles.
Ne serait-ce pas une façon plutôt habile de nous détourner de la véritable liberté de choix?
Le langage des publicité est de plus en plus envahi de formules très « spirituelles ». Il suffit de lire. On nous vend n’importe quoi en invoquant la part la plus sage de nous-même; mais n’est-ce pas là aussi d’envahir notre capacité de choix, de nous détourner, d’empoisonner la seule part de nous-même apte à choisir.
En fait, je crois que l’on utilise cette part de soi pour des choses superficielles. Afin que surtout on ne la sollicite pas pour des choses plus essentielles…Il ne faut surtout pas nous habituer à trop réfléchir par nous-même, à nous rendre libre de nos choix car alors nous ne pourrions plus adhérer à une société qui sous des apparences de démocratie et de liberté nous sert immanquablement le même yaourt à tous les parfums. Nous croyons avoir le choix mais qui ne s’est pas déjà offusqué devant l’universelle malhonnêteté politique de nos dirigeants, devant le langage très formaté de nos médias, devant l’inculture croissante de nos jeunes?
Il serait bon je crois de chercher ce qui se cache derrière ce trop-plein de choix qui serait non pas un critère de liberté mais une forme très habilement cachée d’aliénation.
Je remarque personnellement pour l’avoir expérimenté (et cela rejoint bien sûr les précédents articles sur le Vide) que dans un milieu très simple où seuls les besoins essentiels sont assouvis, l’esprit se libère, devient léger, disponible ouvert et transparent comme un miroir prêt à refléter le monde de manière optimale et donc de l’accueillir. Vivre avec peu, à proximité de la nature (symbole vivant du vide-plein), dans le silence, détaché de tous ces liens qui nous sollicitent en permanence et nous bercent dans l’illusion d’appartenir à une « communauté » pour nous prémunir du vide social, de la solitude (internet, téléphones TV etc.), nous permet de découvrir avec émerveillement ce dont nous avons réellement besoin pour bien vivre: pas grand-chose.
La réponse à l’embarras du choix serait un retour à la simplicité. Il ne s’agit pas d’aller jusqu’à l’ascèse (quoique pour certains l’exercice peut être souverain) mais d’aller à l’essentiel. Ne pas abaisser son esprit et son énergie à assouvir des besoins superficiels et inutiles. Revenir au simple. Au peu, au vrai, au rare pour donner à chaque chose la place qui lui revient.
Choisir à partir de cet essentiel et découvrir alors l’incroyable richesse que nous sommes une fois dépouillés de tous les artifices d’une société bancale. Des êtres naturellement libres.
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