jeudi 9 juin 2011

La clé de Barbe-Bleue



La clé dans le conte symbolise le passage d'un état conscient à un autre. Elle ouvre une porte. Dans le conte de Barbe-Bleue, en particulier, elle est aussi l'oeil qui voit (la conscience); en laissant le trousseau de clés à son épouse, Barbe-Bleue sait pertinemment (et de façon perverse) que non seulement sa femme va  enfreindre son interdiction d'ouvrir la chambre secrète, mais que la "clé" n'hésitera pas à le lui rapporter. D'ailleurs ne revient-il pas dès le soir même, satisfait que l'affaire pour laquelle il était parti venait d'être terminée à son avantage.

Tout passage vers un nouvel état de conscience s'accompagne toujours par une descente. On doit d'abord passer par les profondeurs de soi, découvrir les cadavres que l'on y cache, faire le compte de tout ce qui est destiné à mourir qu'on le veuille ou non. Dans les Évangiles, cela correspond à séparer le bon grain de l'ivraie. C'est une descente dans l'inconscient, le terre en friche qui attend d'être labourée et ensemencée.

Barbe-Bleue voit bien qu'on ne peut aller contre sa curiosité. Il ne croit nullement en la rédemption. Il conçoit l'être comme une mécanique, posant un regard matérialiste et froid sur le monde; ses nombreuses femmes assassinées grâce à ce jeu pervers, le conforte dans ses certitudes d'une humanité prévisible, toujours prête à se perdre dans ses propres méandres, lui donnant toute l'effroyable assurance du psychopathe ou du diable tentateur...



Il met en place ce piège irrésistible pour sa jeune épouse, renversant les rôles, de victime il la fait coupable, lui faisant porter son crime atroce, et la jeune femme devient alors le bouc émissaire qui l'absout momentanément de toute responsabilité..."Elle n'avait qu'à pas désobéir"...


L’obéissance au prédateur intérieur est parfois source de paralysie, de stérilité psychique; on reste figé dans les limites imposées par soi-même selon d'anciennes peurs, de vieilles croyances, une culpabilité mal perçue. On vit sa vie comme un mort-vivant, perdu dans le labyrinthe de sa propre psyché, d'où parfois on ne revient jamais. Dans ce dédale qui ressemble fort à la légende du Minotaure,  la chambre interdite par Barbe-Bleue est celle où attend la créature fabuleuse à affronter le Minotaure...

En descendant dans les tréfonds de l'être la jeune épouse désobéit à l'ombre qui la retient de vivre.  Elle découvre toute sa vérité et le cortège de mensonges qui en découlent. Elle réalise à quel point le monde des apparences, des attraits matériels est trompeur, sans véritable valeur, et peut cacher de bien noirs desseins...Elle réalise combien de fois, elle a du tuer des parts d'elle-même pour obéir à l'ombre, à ses angoisses non reconnues. Elle comprend simultanément que le piège vient de se refermer sur elle et qu'elle ne peut plus revenir en arrière. L'oeil de la conscience, symbolisé par la clé, se tâche de sang. La fuite est impossible. On ne peut fuir sa conscience. Quand on a entamé un travail de fond en soi, quand on a pris conscience de ses peurs les plus profondes, les plus enracinées, il est trop tard pour reculer. Il n'y a en réalité rien à faire d'autre que laisser faire, lâcher prise et affronter le prédateur, affronter l'ombre et la préparation inévitable d'une mise à mort de soi (d'une partie de soi). Anne, ma soeur Anne...


Fichier:Barbebleue3.jpg

La curiosité a permis à la jeune épouse de passer de l'inconscience à la pleine conscience de sa réalité. La peur est toujours présente parce que la situation est nouvelle mais il y a un espoir: la venue des cavaliers. Il s'agit de la force vitale de la psyché qui permet cette rédemption, cette remontée des profondeurs qui apparaît comme une renaissance...un éveil à soi.


Ce conte nous renvoie à un autre mythe initiatique: la boîte de Pandore...





Illustration: Sybille Delacroix, Marie Diaz et Sébastien Mourrain , Gustave Doré  

5 commentaires:

  1. Ta lecture du conte est passionnante et très juste je trouve. Cette fois, ce que tu dis sur la descente dans nos méandres intérieurs, nos profondeurs vers un irréversible et nouvel état de conscience me fait penser à plusieurs arcanes du tarot, la Roue de Fortune,la Maison Dieu et le Jugement notamment. Ils nous obligent, chacun à un niveau différent, à nous défaire de nos anciennes peurs et croyances, dont bon nombre peut-être ne nous appartiennent même pas ...
    Mais en effet, la conscience est la clé, et aucun verrou ne lui résiste lorsqu'elle a trouvé sa serrure.
    Pour finir sur la boîte de Pandore, elle est pour moi une métaphore de l'âme humaine, qui peut libérer tant de noirceur pour elle-même. Mais au fond reste cachée l'Espérance, comme un trésor qu'il nous appartient d'aller déterrer pour faire jaillir sa lumière.
    Merci chère Nout pour tes mots, que je guette avec impatience chaque jour !

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  2. Merci Tempérance, en effet la boîte de Pandore comme la pomme d'Eve est un "mal" initiatique...A nous de bien discerner ce fil d'Ariane! ;)

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  3. Ta série sur Barbe-bleue est passionnante , je trouve, elle ouvre sur des liens que je n'aurais pas pensé à établir...et sur des pistes très riches...

    Et effectivement, tu as raison, nous sommes assez "synchrones" toutes les deux en ce moment, sur nos blogs respectifs !
    Oeil de la conscience, labyrinthe et Minotaure...nous "travaillent" en même temps !

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  4. Bonsoir chère Nout,

    TIENS TIENS CELA M'EST ETRANGEMENT TREEEEEEEEEEEES FAMILIER ( personnage féminin et barbe-bleu....):
    "Tout passage vers un nouvel état de conscience s'accompagne toujours par une descente. On doit d'abord passer par les profondeurs de soi, découvrir les cadavres que l'on y cache, faire le compte de tout ce qui est destiné à mourir qu'on le veuille ou non. Dans les Évangiles, cela correspond à séparer le bon grain de l'ivraie. C'est une descente dans l'inconscient, le terre en friche qui attend d'être labourée et ensemencée.

    Barbe-Bleue voit bien qu'on ne peut aller contre sa curiosité. Il ne croit nullement en la rédemption. Il conçoit l'être comme une mécanique, posant un regard matérialiste et froid sur le monde; ses nombreuses femmes assassinées grâce à ce jeu pervers, le conforte dans ses certitudes d'une humanité prévisible, toujours prête à se perdre dans ses propres méandres, lui donnant toute l'effroyable assurance du psychopathe ou du diable tentateur..."

    CE QUE JE PEUX DIRE C'EST QUE LES CONTES NE CE SONT PAS QUE DES CONTES
    C'EST CE QU'ON A VOULU : EUX ILS ELLES JE EN SAIS PAS.

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  5. Tout est bien vu... Je retiens à la fin, une note : l'ESPOIR, quels que soient les chemins par lesquels nous devons passer. Douce nuit. brigitte

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