J'ai longtemps souffert de cette mâle-à-dit dont souffre le monde, l'humanité entière tenue en déséquilibre par ce fléau...
Il me suffisait de voir combien la position de mon père lorsque j'étais enfant était bien plus enviable que celle de ma mère.
Il me suffisait d'entendre parler les femmes de ma famille, mère, grand-mères, tantes... Parler des hommes comme d'un "mâle" nécessaire dont il fallait s'accommoder. Pourtant elles n'en connaissaient pas tant que ça , des hommes, pour en parler si bien, de façon si générale et si unanime. Mais un homme au fond en valait bien un autre...
Ma mère s'était toujours promis de ne jamais épouser un homme comme mon grand-père, un homme du sud, raide de principes, implacable avec ses filles et son épouse, mais très conciliant avec les autres, les dames de passages, celles qu'il était permis de caresser dans le sens du poil.
Ma mère choisit donc d'épouser un pinzutu*, un homme du nord, enfin, du continent...un homme qui serait différent de son père, moins colérique, moins rigide.
Elle ne s'est pas méfiée. Lorsqu'elle a rencontré mon père, il faisait du stop pieds nus au bord de la route, avec un pantalon trop court et un sombrero sur la tête (!)...
Il semblait l'opposé de mon grand-père toujours tiré à quatre épingle, costume trois pièces, Borsalino.
Mais les apparences sont trompeuses. Ce que ma mère avait voulu fuir chez son père, elle le retrouva chez le mien.
Ma mâle-à-dit remonte loin, si loin que ma mémoire se perd dans les racines profondes d'un passé enseveli dont il ne reste que des bourgeons d'amertume. Et cet arbre ne donnera d'autres fruits que la colère, une rage sourde qui se transmet dans le non-dit et qui au bout du compte reste la seule chose qui nous unit.
Je suis née fille avant d'être femme, Et j'ai vite compris que pour avoir une place, pour espérer un peu d'attention, il me faudrait adopter une attitude mâle.
Ce qui signifiait en gros:
- ne jamais se plaindre quand on a mal
- considérer tout débordement affectif comme un signe de faiblesse
- ne jamais exprimer ce que l'on ressent (quelle honte!) mais tout faire pour montrer qu'on ne ressent rien (parler de la pluie et du beau temps à la place)
- ignorer l'autre comme si il n'existait pas pour bien lui faire comprendre que c'est MOI le maître
- hurler dès que les choses ne tournent pas comme on avait décidé qu'elles seraient (histoire de faire croire qu'on contrôle tout)
- claquer la porte dès que la situation ne tourne pas à son avantage ( tout un art)
- trouver en toute circonstance au moins un point négatif à relever et bien sûr à reprocher à qui-de-droit
- considérer toute idée différente des siennes complètement absurde voire insultante
- trouver qu'un psy finalement c'est aussi malhonnête qu'une voyante et qu'il faut s'en méfier surtout quand il commence à balancer des vérités
- trouver les étrangers sympas dans leur bled mais franchement dérangeants chez soi
- ne jamais endosser la responsabilité de quoique ce soit et surtout pas des gosses
Cela ressemble à un réquisitoire mais c'est en vérité une liste des symptômes de cette mâle-à-dit dont j'ai hérité â ma naissance.
Tout ce qui était féminin en moi était si peu considéré, si ridicule, qu'il a bien fallu que je choisisse le meilleur moyen de survivre à tout ça.
Et j'ai choisi le mâle.
Un mâle insidieux qu'il m'a fallu affronter pour devenir véritablement femme, au bout d'un lent chemin, en descendant au plus bas de moi-même, en devenant mère, puis amoureuse de cet autre que je voulais â la fois être et ne pas être...
Il m'a fallu ôter les masques un à un, et renoncer au pouvoir illusoires qu'ils me donnaient.
Il m'a fallu faire le deuil du père que je n'aurais jamais.
Il m'a fallu aimer l'autre à la mesure de mes propres misères. Le quitter cent fois avant qu'il ne me quitte. Et rester seule â fouiller les cendres. Cesser d'en faire un objet par peur de ne plus rien contrôler. Me laisser emporter par la force des choses. Par le feu inattendu de la rencontre. Démasquée, nue, sans autre repère que l'inconnu de chaque instant.
Aujourd'hui encore j'ai du mâle-à-dire ce que porte mon cœur. Dire "je t'aime" à un homme reste une vraie conquête. Je dis avec mon corps, avec mes yeux, par l'écriture, mais ma gorge reste blessée d'avoir du ravaler tant d'amour. J'ai encore trop de mâle-à-dire: je t'aime.
Alors je m'en remets au silence, au souffle qui s'accorde. A celui de l'autre. Qui se déploie...
Savez-vous que les poumons attendent la rencontre comme un oiseau en cage? Prêts à s'envoler...
Deux souffles qui ne font qu'un et acceptent de s'accompagner le temps de mourir et renaître ensemble.
Deux souffles accordés au Chant des Chants...
*pinzutu: mot corse peu flatteur désignant celui qui débarque du "continent"...
Illustration trouvée là...
Nous avons une vie pour apprendre... Ce qui nous dérange chez l'autre n'est-il pas une de nos facettes que nous pourrions corriger ? Bises. brigitte
RépondreSupprimerUn regard fort et subtil porté sur ton histoire...je ne sais si tu as lu le texte d'E.J. Gold "Réveiller la princesse endormie" (voir le blog), ce texte devrais te parler sans aucun doute.
RépondreSupprimerTon texte me touche tellement que j'en ai les larmes aux yeux ce matin ... Ce qui me marque dans ton parcours, comme dans le mien, c'est cet héritage que nous portons malgré nous, toutes ces choses qui ne nous appartiennent pas (je pense forcément à la Roue de Fortune là tout de suite !!!) et que nous devons "réparer" pour trouver un début de sérénité, pour aller vers soi-même/(m'aime ?). De mon côté, les choses se sont faites différemment, mais il y a eu une reconquête à faire également. Celle de mon féminin blessé, ou plutôt celui de ma mère, de ma grand-mère, étouffé, blessé, écorché, par un père qui prend tellement de place et à côté duquel il n'est pas facile d'exister. Paradoxalement, j'ai toujours été passionnément aimée par ce père, (au point que j'ai été "féminisée" dans son regard bien plus que ne l'a été ma mère, merci Oedipe !), et j'ai longtemps cherché l'équivalent de cet amour fou et absolu chez les autres hommes. Bref, te raconter toutes ces années de questionnements, d'analyse, d'initiation prendrait trop de temps, mais là je me dis surtout que j'aimerais vraiment m'installer avec toi autour d'une bonne tasse de thé, et échanger jusqu'à plus soif.
RépondreSupprimerJe t'embrasse chère Nout, belle âme-soeur ...
@ Brigitte: oh ce serait trop long de tout corriger... Mieux vaut chercher derrière tout celà qui JE suis? :)
RépondreSupprimer@ Tempérance: oui c'est bien la roue de la fortune (ou de l'infortune) surmonté de son diablotin narquois qui se gausse de nous voir inévitablement revenir au point de départ. C'est pourquoi il est bon de sortir de la roue un instant pour en contempler vraiment les rouages. Pas pour soi bien sûr mais parce que après nous il y a un petit être en pleine évolution, plein de tout l'amour qu'il a èveillè en nous et qu'on préfèrerait mourir sur place que de lui refiler ce merdier! ;)
Donc il nous reste à continuer ce travail d'alchimiste entrepris par le bâteleur pour arriver à la libération totale...l'éveil m'a offert un sacré coup de pouce. est-il venu à cause du désir d'arrêter de tourner sur moi-mëme? Je ne sais... Je suis touchée aussi que ça te touche et qui sait peut-être que ce thé nous finirons par le prendre ..:)
@ Chronophonix: et bien j'ai justement écrit pour équilibrer tout cela un texte qui évoque la belle au bois dormant, conte qui évoque bien cette quête du fémininendormi... je vais donc de ce pas lire cette "princesse endormie"! Merci beaucoup à toi!
La souffrance..
RépondreSupprimerCes chaînes que nous traînons à nos pieds
Et qui disent j'ai vu, j'ai entendu, je sais..
Merci pour ce partage.
Merci Lilou, de bien jolis mots par chez toi... :)
RépondreSupprimermerci Nout pour cette confidence : toi qui as peur d'exprimer les choses dans l'affectif, tu le fais de manière aisée sur le net.
RépondreSupprimerj'espère que tu parviendras très vite à dire ces choses qui sont en toi, simplement, sans aucune peur, sans pudeur.
Cette jolie phrase de Pier Paolo Pasolini (sans doute mon auteur préféré)te permettra peut-être de te libérer complètement :
"L'interdit est dans ton coeur
et lui seul t'importe
envoie donc promener
deux mille ans de pudeur."
je t'embrasse.