Araignée souriante - Odilon Redon |
Avant que Vassilissa n'ait fait un pas de plus, Baba Yaga fondit sur elle avec son chaudron en hurlant:
-Qu'est-ce que tu veux?
La jeune fille trembla.
-Grand-mère, je viens chercher du feu. Ma maison est toute froide... les miens vont mourir... j'ai besoin de feu.
Baba Yaga dit d'une voix cassante:
-Ah oui, je te connais et je connais les tiens. Eh bien, inutile enfant...tu as laissé le feu d'éteindre. C'est être bien mal avisée. Par dessus le marché, pourquoi crois-tu que je vais te donner la flamme?
Vassilissa consulta sa poupée et se hâta de répondre:
-Parce que je te le demande.
Baba Yaga ronronna:
- Tu as de la chance. C'est la bonne réponse.*
Il y a une grande sagesse dans ces mots qu'à première lecture, on a du mal à percevoir.
Pourtant, écoutons bien ce que dit Baba Yaga. Elle traite Vassilissa d'imprudente d'avoir laissé le feu mourir ce qui est vrai. Que ce soit par paresse ou par négligence, laisser ses dons intérieurs dépérir est bien la pire chose que nous puissions faire. Je crois bien que si j'avais une définition du mal à donner ce serait bien celle-là: laisser mourir la flamme intérieure...
Baba Yaga dit aussi: "je te connais et je connais les tiens"...et c'est une clef que tend la vieille sorcière à l'enfant, une clef essentielle qui va lui permettre de répondre à sa question sans appel: "pourquoi crois-tu que je vais te donner la flamme?".
Mais là, Baba Yaga ne s'adresse pas seulement à la petite Vassilissa...elle s'adresse à chacun de nous: "je te connais et je connais les tiens"... Elle indique là un moyen d'accéder au coeur du conte: chaque personnage est une part de soi. Y compris elle, la sorcière terrifiante et repoussante. Et l'intégrer comme une part de soi est la seule manière de s'en libérer.
C'est pourquoi la réponse de Vassilissa qui, au premier abord semble très naïve: "parce que je te le demande" n'exprime en fait qu'une évidence. Je suis toi comme tu es moi; tu vas me donner la flamme parce que si je meurs, inévitablement, tu meurs aussi...
En reconnaissant Baba Yaga comme une part d'elle-même qui la connaît et qui connaît les siens, Vassilissa accède à l'unité intérieur. Elle unifie ses énergies éparses et non reconnues.
Et la poupée cachée au fond de la poche le sait bien...
On comprend mieux alors la maladresse que commet Vassilissa avant de quitter Baba Yaga.
Vassilissa hésite à interroger la vieille sorcière sur les paires de mains qui apparaissaient et disparaissaient, mais la poupée la met en garde. Alors, le jeune fille se ravise:
- Non, Grand-Mère comme vous le dites en savoir trop peut faire vieillir prématurément.*
Mais Baba Yaga n'est pas dupe de ce genre de flatterie. Inutile de la caresser dans le sens du poil, elle reconnaît très vite le mensonge même subtilement glissé au milieu d'une vérité. C'est pourquoi elle dit à plusieurs reprises: "tu as de la chance". Elle sait bien que Vassilissa est "guidée" mais ne prend pas encore "consciemment" c'est à dire à partir d'un être complet et unifié ses décisions...
Elle met immédiatement la fragilité de Vassilissa, sa faiblesse intérieure à l'épreuve en lui posant un nouvelle question:
- Ah, fit la Yaga en penchant la tête tel un oiseau, tu es bien sage pour ton âge, ma fille. Et comment en es-tu arrivée là?
- Grâce à la bénédiction de ma mère.
- La bénédiction! grinça Baba Yaga. La bénédiction! Nous n'avons pas besoin de bénédictions dans cette maison! Tu ferais mieux de filer, mon enfant.
Elle poussa Vassilissa dehors, dans la nuit.*
"Tu es bien sage pour ton âge"... Ironise ainsi, la Yaga montrant à Vassilissa qu'elle n'a pas encore compris l'avertissement donné au début de leur rencontre: "en savoir trop fait vieillir". En savoir trop peut sans doutes vouloir dire en savoir plus que notre vécu nous le permet. La véritable connaissance ne s'acquiert pas seulement par le mental (même si il reste un outil indispensable) mais par l'expérience, le temps, la maturation (donc la patience...). On ne peut aller plus vite que Dieu en quelque sorte.
On ne peut faire fleurir les arbres en plein hiver alors que la neige alourdit les branchages...
C'est une vérité incontournable que tente d'enseigner Baba Yaga à la jeune fille (l'être encore immature).
Souvent, notre Soi nous amène des vérités à saisir que ce soit par les rencontres que nous faisons, les lectures, les prises de conscience. L'éveil peut être considéré comme une grande connaissance acquise de façon fulgurante au-delà même de la personne (du moi).
Ce qu'il est important d'apprendre, le "travail" qui nous est demandé, comme le conseille Baba Yaga, la Mère sauvage, c'est laisser ces vérités mûrir en nous. C'est être assez en retrait pour ne pas perturber la maturation naturelle de ces germes en devenir dans notre terre intérieure.
Vassilissa dans ce dernier passage tombe dans le piège du vieux mécanisme qui consiste à retourner dans les jupes de la trop bonne mère. C'est à dire revenir à un savoir stérile, aux vieilles croyances extérieures seulement distillées par le milieu culturel et familial et surtout non passé au tamis du vécu. Ce vécu qui donne une valeur inestimable à toute connaissance. Il y a une interaction, un échange nourrissant entre le mental qui enregistre de façon linéaire et la conscience qui vit de façon globale. Cette interaction ouvre le regard, déploie l'appréhension que l'on peut avoir du monde et des autres. C'est ce que symbolise peut-être la croix chrétienne par la rencontre de l'horizontalité et de la verticalité.
Cette bénédiction que refuse Baba Yaga c'est l'alignement à la norme sociale et culturelle au lieu de s'aligner à son être véritable, à sa vérité profonde. C'est le renoncement à notre liberté intérieure. C'est rester l'esclave de la marâtre et de ses exigences contre nature. Parce que derrière la bonne mère, ce confort attirant qui confine à la paresse, se cache toujours le visage impitoyable de la belle-mère du conte. Et ne pas voir cette simple vérité nous pousse à laisser mourir le feu intérieur.
"Elle poussa vassilissa, dehors dans la nuit"...
Baba Yaga sait qu'il faudra encore beaucoup d'aller-retour entre le monde d'en haut et le monde d'en bas - ce monde d'en bas qui de façon ontologiquement inversée se trouve être le Royaume des Cieux évoqué à de nombreuses reprises dans les Évangiles ainsi que la nuit intérieure des mystiques chrétiens tel que Saint Jean de La croix- avant que Vassilissa n'accède à la pleine maturité. Aussi la pousse-t-elle à reprendre son chemin, à revenir à la vie quotidienne, pour ne pas stagner dans la vie intérieure et commencer ainsi à laisser le mental envahir de ses ronces le feu nouvellement acquis. Ne pas s'attarder à poser trop de question, à tourner en rond... la flamme peut à nouveau s'éteindre.
- Je vais te dire, ma fille. Tiens! Baba Yaga prit à sa barrière un crâne aux yeux ardents et le plaça sur un bâton. Tiens! Emporte ce crâne chez toi au bout d'un bâton. Voilà, c'est ton feu. Ne prononce pas un mot de plus. File.*
* Extraits du conte la belle Vassilissa de Clarissa Pinkola Estés dans Femmes qui courent avec les loups.
À Nout et les tisseurs de “ponts”
RépondreSupprimerLike a bridge over trouble waters
When you're weary, feeling small,
When tears are in your eyes, I will dry them all;
I'm on your side. when times get rough
And friends just cant be found,
Like a bridge over troubled water
I will lay me down.
Like a bridge over troubled water
I will lay me down.
etc...............
peu importe le sens le sans le sang
car ma langue maternelle est:
mono-syllabique
varia-tonique, c'est un fait.
Que j'essaie de faire.
J'embrasse tendrement Nout/Elodie
C'est à vous/nous
tisserands/ tisserandes que je pense ici :
http://latululireli.over-blog.com/article-amplitude-vous-etes-libre-vous-pouvez-choisir-arvo-part-98899147.html
à nos zoreilles ....
Car je n'entends Björk que depuis peu ..Alors que "mes filles" l'ont entendue depuis longtemps.
J'ai eu ma Baba Yaga, j'ai été aussi une Baba Yaga.
mère-fille ... FEMMES ETC ...
MERCI à Nout et Fabulo. pour vos espaces de lecture.
Merci aussi aux autres fous...........................
que je croise...
je me relie toujours à la terre.
Don :
Acte.
Lise
Lise ta poésie en relief m'en-chante toujours!
RépondreSupprimerMoi aussi je t'embrasse tendrement
Elo/Nout
:)