Oedipe et la Sphinge - Odilon Redon |
Après avoir beaucoup marché, elle rencontra un cavalier blanc sur un cheval blanc, et l'aube apparut: puis vint un cavalier habillé de rouge, et le soleil se leva. Elle marcha tout le jour. Le soir, elle vit une cabane faite d'ossements humains dont la barrière était ornée de crânes. Alors passa un cavalier vêtu de noir et montant un cheval noir. La nuit tomba et les yeux des crânes se mirent à briller; Baba Yaga arriva, volant dans les airs, assise dans un mortier, ramant à l'aide d'un pilon et effaçant ses traces avec un balai. Elle s’allongea et demanda à Vassilissa de lui apporter à manger, n'offrant à la jeune fille qu'un croûton de pain. Puis elle lui ordonna, pour le lendemain, de tout nettoyer et de trier le tas de blé, grain par grain, si elle ne voulait pas être dévorée.*
Il y a bien une énigme dans ce passage, un message dissimulé derrière ces trois personnages qui surviennent dès que Vassilissa franchit le seuil de la forêt, lieu frontière entre le monde d'en haut et le monde d'en bas...Ces trois cavaliers aux couleurs du Grand Oeuvre mènent notre héroïne à la sorcière.
L'Oeuvre au noir peut être dans ce conte symbolisée par la mort de la trop bonne mère (qui elle serait la materia prima) et l'apparition de la marâtre. Puis l'Oeuvre au blanc par le cavalier de la même couleur, et l'Oeuvre au rouge par le cavalier du midi.
Ils me renvoient au mythe d'Oedipe, et de la description qu'Annick de Souzenelle dans le symbolisme du corps humain fait de la Sphinge:
"Un gardien du seuil se tient à l'entrée et dévore ceux des habitants qui ne peuvent répondre à son énigme. Frère de tous les monstres dévoreurs des mythes, ce gardien est à son tour dévoré, c'est à dire intégré par celui qui saisit les énergies-informations qu'il est. Celui-là devient l'informé, le connaissant."
Nous avons déjà vu que le Féminin refoulé, non conscientisé, apparaît sous diverses formes à travers le conte. Son aspect le plus menaçant est sans doute représenté par la marâtre et ses deux filles. Elles symbolisent en quelque sorte ce gardien de l'entrée qui menace de détruire le héros si ce dernier ne donne pas la réponse en adéquation avec l'énigme posée. Pourtant, d'une certaine façon, c'est elles qui poussent Vassilissa à s'enfoncer dans la forêt (elles posent en quelque sorte l'énigme). Sans leur intervention, la jeune fille ne se serait sûrement pas aventurée dans sa nuit intérieure. La rencontre avec Baba Yaga contient en elle-même la bonne réponse. En fait, Vassilissa ne donne pas de réponses mais pose LA bonne question...ce qui est le plus judicieux.
"Ce gardien est nous-même dans une dimension effrayante tant que nous ne le sommes pas devenus et pour le devenir, car il nous oblige à aller vers nous-même, vers ces épousailles avec nous-même, avec la mère intérieure, pour y atteindre. Ces gardiens sont souvent des femmes terrifiantes car c'est le féminin intérieur, nous l'avons vu, qui détient la force que nous sommes appelés à épouser, et qui, à la limite, détient le noyau, le NOM.
La Sphinge tétramorphe est Oedipe dont l'accomplissement sera symbolisé par les quatre enfants qui lui naîtront de Jocaste, quatre dimensions de lui-même au fur et à mesure de ses épousailles de plus en plus profondes avec lui-même, avec les énergies de la Mère.
"La Sphinge, selon ce que certains disent, était une fille bâtarde de Laïos..." Cette version vient confirmer la lecture du mythe, selon laquelle la Sphinge est "soeur d'Oedipe", autrement dit, son aspect féminin non encore accompli.
Pour ceux qui se passionnent pour l'énigme du Tarot, cliquer sur le Monde... |
Ismène ("force vigoureuse") est le taureau: première étape de la vie, ancrage en terre, fécondité promise et promesse de la couronne que les cornes de l'animal symbolisent. **(Le cavalier blanc de l'aube)
Polynice ("nombreuses victoires") est le lion: deuxième étape de la vie centrée sur une qualité solaire d'amour vrai qui permet toutes les victoires sur soi-même (épousailles des énergies). **(Le cavalier rouge du midi)
Etéocle ("vraie clef") est l'aigle, gardien de la "porte des dieux" qui détient le pouvoir des "clefs" (...) *(le cavalier noir qui rentre dans la cabane)
Antigone ("avant le naissance") est le retour aux normes ontologiques, dimension dans laquelle seule l'Homme peut accomplir le NOM qu'il est.**(la rencontre avec Baba Yaga)"(A. de Souzenelle)
"Pose-les (les questions) mais souviens-toi que toute question n'est pas sage: trop de savoir rend vieux."*
Ainsi parle Baba Yaga avant que Vassilissa l'interroge.
Or, la question de Vassilissa pointe justement sur l'essentiel. Ce n'est pas une question futile issue d'un esprit curieux et immature mais bien celle qu'un bon disciple poserait à son maître. En questionnant Baba-Yaga sur les mystérieux cavaliers, la jeune fille montre de façon subtile qu'elle a compris le bon chemin à prendre pour descendre dans sa vérité profonde et celui qui va lui permettre d'en revenir.
Sphinge au Louvres |
Nous remarquons que la sphinge ou sphynx, mi-bête mi-humaine apparait dans de nombreuses mythologies: en Mésopotamie ( où l'on retrouve de semblables créatures gardiennes de la déesse Ishtar ), en Egypte, en Grèce et en Europe en particulier durant la période la Renaissance où elle connaîtra un véritable essor. Il suffit de se promener dans Paris pour s'apercevoir que ce symbole est encore bien présent et que son énigme est loin d'avoir été résolue...
Notre pensée intime est un vaste royaume
Dont le drame profond se déroule tout bas.
Toute chair emprisonne un fantôme
Toute âme est un secret qui ne se livre pas.
Et c'est en vain Ô front! que tu cherches l'épaule,
Refuge en qui pleurer, aimer ou confesser;
L'être vers l'être va comme l'aimant au pôle,
Mais l'obstacle entre eux vient entre eux se dresser.
Car, au fond de nous tous, ennemie et maîtresse,
La Sphinge s'accroupit sur son dur piédestal,
Et tout épanchement du coeur, toute caresse,
Soudain se pétrifie à son aspect fatal.
Sa présence toujours aux nôtres se mélange,
Sa croupe désunit les corps à corps humains;
Au fond de tous les yeux vit son regard étrange
Ses griffes sont parmi les serrements de mains.
Et c'est en vain Ô front! que tu cherches l'épaule,
Refuge en qui pleurer, aimer ou confesser;
L'être vers l'être va comme l'aimant au pôle,
Mais l'obstacle entre eux vient entre eux se dresser.
Car, au fond de nous tous, ennemie et maîtresse,
La Sphinge s'accroupit sur son dur piédestal,
Et tout épanchement du coeur, toute caresse,
Soudain se pétrifie à son aspect fatal.
Sa présence toujours aux nôtres se mélange,
Sa croupe désunit les corps à corps humains;
Au fond de tous les yeux vit son regard étrange
Ses griffes sont parmi les serrements de mains.
Et lorsque nous voulons regarder en nous-même
Pour nous y consoler et nous y reposer,
La sphinge est là tranquille en sa froideur suprême,
L'énigme aux dents prête à nous la proposer.
Occident - Lucie Delarue Mardrus
Occident - Lucie Delarue Mardrus
* Extrait de la version du conte la Belle Vassilissa issu de l'interprétation des contes de fées par Marie-Louuise Von Franz
**Notes personnelles
Merci Nout, de parler de LA Sphynge (on ne parle que DU Sphinx, d'habitude)...
RépondreSupprimerPoser ou ne pas poser, that is the question ! ;-)
Tout cela me fait penser aussi à l'épisode de Perceval qui arrive au château du Graal et qui ne pose pas la question qui aurait pu sauver le Roi...
Il ne demande rien et là, c'est une erreur !
La curiosité n'est pas toujours un vilain défaut, tout dépend des circonstances...
Tiens voila une nouvelle synchronicité, ;) j'allais aborder Perceval dans un prochain message en passant par l'initiation à l'enluminure...
RépondreSupprimerLa curiosité n'est pas un vilain défaut quand il s'agit de découvrir SA vérité. Elle le devient quand on empiète sur le territoire de l'autre, quand on ne respecte pas les limites de l'autres...tout dépend de l'intention qui donne l'impulsion.
Vassilissa est tentée de poser trop de question. Quand ses questions concernent son initiation, ce sont des questions justes mais quand elles ne concernent qu'une avidité de "savoir" sans comprendre, là ça se gâte! :)
Oui, la pertinence et la justesse de la question dépend de l'intention...
RépondreSupprimerS'il s'agit de "découvrir sa vérité" (je te cite) ou de mieux connaître sa véritable identité...la question est juste.
Mais s'il s'agit de questions qui visent à découvrir les secrets du "pouvoir" (les mains qui "agissent" comme par magie sont des images de "pouvoir sur la matière et sur le monde"), il n'y est pas répondu...
Car la juste quête est une quête intérieure non une quête de pouvoir (magique)...
En effet, et si la quête intérieure révèle parfois des pouvoirs (magique), ils ne doivent rester que des effets secondaires, et non l'objet central d'une question... :)
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