Fille au miroir- Pablo Picasso
En occident, on fait du vide un objet: c'est ce qu'on obtient lorsqu'on a enlevé ce qu'il y avait-autrement dit, c'est une oeuvre que l'on fait.
Mais en Orient et aussi chez Maître Eckhart, le vide, c'est le plein.
L'image du ciel nous aide à comprendre cela.
Le mot sanskrit sunyata qu'on traduit par "vide", emptiness, a pour correspondant le mot chinois ou japonais ku, et ce qui est important, ce n'est pas ce qu'on entend mais la calligraphie. Or il y a deux calligraphie de ku.
La première désigne le ciel, au sens de voûte céleste, sky en anglais (et non heaven), c'est à dire le fond du ciel - si le ciel est bleu, sans nuages, on peut dire que le ciel est vide, clair ou serein, et cela n'est pas le sentiment d'un manque: il est vide, mais plein en tant que fond permanent, selon notre expérience empirique et dans la conception scientifique précopernicienne.
Cela signifie l'accueil, comme le miroir: celui-ci est vide mais il est plein de tous les objets qui s'y reflètent. L'autre caractère est la culture de brûlis: le champ vide de la culture de brûlis, couvert de cendres, est en réalité plein de toutes les récoltes à venir; on voit là que le vide est un vide matriciel, potentiellement plein de tout ce qui va naître. Le vide matriciel, le fond des choses (Grund), est toujours là, forme et se déforme sort de ce fond pour y revenir, dans la perspective de l'Orient en tout cas.
Le goût du vide (L'Odeur de la papaye verte, selon le titre d'un beau film), on l'a justement dans un sesshin: à cemoment où, même s'il y a beaucoup de choses, de soucis, qui vont et viennent dans mon esprit, je perçois qu'au fond paradoxalement, il n'y a rien (sauf si je m'attache). En rentrant chez soi, on perçoit souvent cette qualité du vide, et un des fruits est qu'on entend alors ce que disent les autres, parce qu'on a rejoint en nous, de façon provisoire et sans doute insuffisante, cette qualité du miroir.
Le miroir n'a ni lasso ni fouet: il laisse se refléter les réalités mais ne les retient pas. Vivre comme un miroir, tel est l'horizon. Cela peut se manifester dans l'hospitalité: laisser les gens s'installer dans mon espace, dans la compassion: un espace pour la passion de l'autre qui, lui, ne supporte pas sa passion - on pourrait parler là de compassion vicaire, par exemple pleurer pour quelqu'un qui ne peut, pas encore, pleurer; mais dès que l'autre reprend sa route, ne pas le retenir. A l'opposé se situe l'égoïsme ou aussi des façons de retenir les autres, de se cramponner à eux; et on voit bien les blessures qui viennent de cet attachement excessif, par exemple dans la relation entre parents et enfants: le miroir est alors collant comme enduit de miel!
Bernard Durel dans son commentaire du Nuage de l'inconnaissance, traité anonyme de la mystique médiévale anglaise, Editions Albin Michel, Spiritualités vivantes.
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