lundi 1 novembre 2010

Après l'extase, la lessive...

L'éveil existe, on peut s'éveiller. Liberté et joie sans limite, union avec le divin, ouverture à un état de grâce intemporel, toutes ces expériences sont plus communes qu'on ne le pense et ne sont pas si éloignées de nous. Il existe cependant un corollaire: ces expériences ne durent pas. Nos réalisations, et nos prises de conscience nous dévoilent la réalité du monde, elles apportent des changements mais elles passent.
Vous avez surement lu des récits traditionnels contant la vie de grands sages asiatiques parfaitement éveillés ou l'histoire de saints et mystiques occidentaux d'une pureté irréprochable. Ces récits sont magnifiques; ils peuvent pourtant nous induire en erreur. En réalité, le processus d'éveil du cœur, il n'y a rien qui, de près ou de loin, puisse être assimilé à une fin éveillée. Les choses ne se passent pas ainsi. Nous savons tous qu'après la lune de miel vient le mariage et après les élections la dure tâche de gouverner. Dans la vie spirituelle, il en va de même: après l'extase, il y a la lessive.
La plupart des épopées spirituelles s'achèvent sur l'illumination ou l'éveil. Mais demandons-nous ce qu'il se passe ensuite? Qu'advient-il lorsque le maître zen rentre chez lui et retrouve femme et enfants? Qu'arrive-t-il lorsqu'un mystique chrétien va faire ses courses? A quoi ressemble la vie après l'extase? Comment vivre de tout son cœur ce qui a été réalisé?
(...)
Voici le récit du premier satori (expérience d'éveil) d'un maître zen occidental et de ce qui s'ensuivit.(...)
"La semaine méditative d'une sesshin zen était toujours pour moi très intense. Je ressentais un profond relâchement émotionnel et des souvenirs puissants s'élevaient comme si je me trouvais dans un processus de naissance: fortes douleurs et catharsis physiques qui se prolongeaient des semaines durant lorsque je rentrais chez moi.
Cette sesshin débuta de la manière habituelle: les premiers jours, je me débattis avec de puissantes émotions et le jaillissement des énergies qui déferlaient à travers mon corps. A chaque fois que je voyais le maître, il était assis, là, comme un roc. Sa présence me stabilisait tel un gouvernail au milieu des flots sombres et tumultueux. J'avais l'impression que j'allais mourir ou exploser et lui me poussait à plonger dans mon koan, à laisser mon être s'y abandonner totalement. Je n'aurais su dire ou commençait et ou s'achevait ma vie.
Puis une douceur étonnante commença à filtrer. Derrière la fenêtre, je vis trois jeunes arbres, des bouleaux, qui étaient comme ma famille. Je me sentis aller caresser leur écorce lisse et je devins l'arbre touchant ma propre personne. Ma méditation s'emplit alors de lumière.
J'avais déjà expérimenté la félicité auparavant - durant certaines retraites, de grandes vagues de bonheur lorsque mes douleurs physiques se dénouaient - mais celle-ci était d'un autre ordre. Toute lutte cessa et mon esprit devint lumineux, rayonnant, aussi vaste que le ciel, empli du plus exquis parfum de liberté et d'éveil. Je me sentais tel le Bouddha, assis sans effort, heure après heure, soutenu et protégé par l'univers entier. je vivais dans un monde de paix infinie et de joie indicible.
Les grandes vérités de la vie étaient tellement claires: la manière dont la saisie cause la souffrance, le fait que, mens par cette étroite idée de nous-mêmes, cet égo fictif, nous nous agitons dans tous les sens comme de petits propriétaires se querellant pour un rien. Je pleurai sur toutes nos peines inutiles. Puis durant des heures, je ne cessai de sourire et de rire. Je vis à quel point tout est parfait et comment chaque instant est éveil, pour peu qu'on s'ouvre à lui.
Je restai ainsi, pendant des jours, dans cette paix complète et intemporelle. Mon corps flottait, mon esprit était vide. Quand je me réveillai, des vagues d'amour et une énergie joyeuse coulaient à travers ma conscience. Puis les prises de conscience et les révélations se succédèrent. Je vis comment le flot de la vie se déroule en une trame que nous modelons selon le courant de notre karma. Je vis toute idée de renoncement spirituel comme une sorte de jeu consistant à vouloir contraindre notre être à abandonner la vie ordinaire et les plaisirs. En fait, le nirvana est ouvert, tellement ouvert, joyeux, tellement joyeux, tellement au-delà de tous ces petits plaisirs auxquels nous nous accrochons. Vous ne renoncez pas au monde, vous recevez le monde."
La description d'un éveil de cet ordre apparait habituellement à la fin des récits spirituels. L'éveil est obtenu, l'individu entre dans le courant des êtres de sagesse, tout se déroule ensuite naturellement. concrètement, nous restons sur l'impression que la personne éveillée vit désormais heureuse en permanence. Mais que se passe-t-il si, au lieu de quitter ce récit, nous demandons à entendre quelques chapitres supplémentaires?
"Quelques mois après cette extase, je me sentis déprimé et vécus dans le même temps quelques trahisons d'ordre professionnel assez significatives. j'avais aussi continuellement des problèmes avec mes enfants et ma famille. Oh! mes enseignements étaient bien. je donnais des conférences très inspirées mais si vous parlez avec ma femme, elle vous dira que plus le temps passait, plus je devenais grincheux, impatient comme jamais. Je savais que cette vision spirituelle grandiose était la vérité et qu'elle était là, sous-jacente, mais je reconnaissais également que bon nombre de choses n'avaient pas du tout changé. A dire la vérité, mon esprit et ma personnalité étaient restés pratiquement identiques, mes névroses également. Peut-être était-ce même pire, car maintenant je les voyais plus clairement. il y avait ces révélations cosmiques et moi, je continuais à avoir besoin d'une thérapie simplement pour me débrouiller parmi les erreurs et les leçons d'une simple vie d'être humain."

L'être humain est un lieu d'accueil,
chaque matin un nouvel arrivant.

Une joie, une déprime, une bassesse,
Une prise de conscience momentanée arrivent
tel un visiteur inattendu.

Accueille-les, divertis-les tous
Même s'il s'agit d'une foule de regrets
Qui d'un seul coup balaye ta maison
et la vide de tous ses biens.

Chaque hôte, quel qu'il soit, traite-le avec respect,
Peut-être te prépare-t-il
A de nouveaux ravissements.

Les noires pensées, la honte, la malveillance
rencontre-les à la porte en riant
et invite-les à entrer.

Sois reconnaissant envers celui qui arrive
Quel qu'il soit,
Car chacun est envoyé comme un guide de l'au-delà.

Rumi

Fragments du livre de Jack Kornfield: Après l'extase, la lessive, Pocket spiritualité

0 échos:

Enregistrer un commentaire