mercredi 15 juin 2011

Le sens caché



Une explication bien plus terre à terre, émanant de notre part "scientifique" nous permet de relier la coïncidence à un faisceau d’évènements qui l'ont engendrée et de l'appeler "hasard" mais au fond, nous suspectons que la coïncidence n'est pas du tout une question de hasard. Les coïncidences nous font parfois confusément avoir la preuve, tout à fait insaisissable, que derrière l'apparence d'incohérence de l'expérience quotidienne, un schéma absolu révèle son sens caché."

Jonathan Black - L'histoire secrète du monde

J'ai eu une enfance relativement préservée. Dieu était pour moi quelque chose de naturel, de nullement remis en question même si certaines notions de catéchèse me paraissaient étrangement contradictoires; même si les messes dominicales  me semblaient d'un ennui bien plus mortel que n'importe lequel des sept péchés. Je ne savais pas encore que Dieu ne s'atteint pas dans l'astreinte mais plutôt dans l'éblouissement. Éblouissement que je vivais à chaque instant à travers mon regard d'enfant.

Pourtant il a bien fallu que l'innocence soit souillée pour que fleurisse la conscience. Cela passa par des lectures étranges découvertes dans une insignifiante bibliothèque municipale, dans le petit rayon étiqueté "ésotérique", à l'âge de quatorze ans, qui semblait remettre en question pas mal de notions apprises en catéchisme mais qui, étrangement me semblaient beaucoup moins ennuyeuses que la messe...Le matin des magiciens, l'Atlantide, le livre des esprits, et plus tard le Pendule de Foucault un bric-à-brac digne du rayon "science-fiction" mais qui avait l’avantage de prétendre parler de réalité...ce qui était nettement plus excitant. Je n'y comprenais intellectuellement pas grand chose mais cela m'appelait irrésistiblement; quelque chose en moi comprenait. Cela confirmait certaines intuitions vaguement inscrites en moi. De plus, mes lectures suivaient un fil conducteur en résonance avec des questionnements non formulés. 

Evidemment, il ne se passa rien d'ésotérique dans ma vie durant cette période à part une fascination étrange pour les oiseaux (ou les êtres ailés...) et une cartomancienne qui, en transe, me révéla des évènements ultérieurs de ma vie. L'éducation stricte de mes parents et des études dans une école catholique me permirent toutefois d'avoir tout le temps de lire une multitude de bouquins à travers lesquels je vivais par procuration ce que mes parents m'interdisaient. J'excellais dans l'art de dénicher des lectures peu recommandables...

Je me rappelle surtout de mes treize ans qui fut l'âge de la rupture. Une gifle, un exemplaire des Fleurs de Mal jeté à la poubelle, et une envie de faire l'oiseau en sautant par la fenêtre sonnèrent définitivement le glas de mon enfance. Mais je dus ronger mon frein jusqu'à mes dix-huit ans, jusqu'au bac.

Pour apprendre à voler, il me fallut sauter du nid un jour, prenant le prétexte d'une énième confrontation avec un père à la fois absent et tyrannique, je claquais la porte. Je me jetais dans la vie à corps et à coeur perdu, vivant tout ce qui m'avait été interdit, sans jamais me noyer complètement. Il semblait que la noyade ne m'était pas destinée...du moins pas encore. Ni la maîtrise de la nage d'ailleurs. Je flottais dans la tempête, ballottée par le courant, découvrant non sans amertume que "faire ce que je veux" n'était pas si jouissif. Bien sûr ce ne fut pas ma seule découverte. 

Le monde s'offrit à moi avec autant de vigueur que je m'étais offerte à lui. Et ce fut mes premiers contact avec l'autre côté du miroir. Il me fut démontré avec preuve à l'appui, que cet autre monde avec lequel j'avais flirté dans mes lectures était bel et bien réel. Et il m’apparait aujourd’hui que tout cela avait un sens profond, lentement dévoilé, avec une infinie justesse, comme le tissage d'une étoffe immense dont on ne percevait qu'une maille et qui nous apparaît soudain d'une beauté poignante...

Le sens caché apparaît dès qu'on cesse d'en chercher un. Il est comme un fil déroulé, au coeur du labyrinthe, une fois le monstre affronté, une fois la mort vaincue, dépassée, on revient sur nos pas, l'esprit léger car on sait qu'au bout, de l'autre côté, c'est l'amour qui attend sous les traits de quelque Ariane. Mais il faut pour cela, accepter de se perdre, de souffrir, de mourir un peu...il faut passer par l'exil.


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