Tard je t'ai aimée,
beauté si ancienne et si nouvelle.
(St Augustin: Confessions, X, XXVII?)
Quand viennent les douces brises du printemps, la rigidité cesse et ce qui était dispersé dans les glaçons se réunit. Il en va de même de l'esprit du peuple.
La dureté et l'égoïsme rendent le cœur rigide et cette rigidité le sépare de tout le reste. L'égoïsme et la cupidité isolent les humains.
C'est pourquoi il faut qu'une émotion religieuse s'empare de leur cœur.
Il doit se dissoudre, pris d'un frisson sacré devant l'éternité, se sentir saisi d'émoi devant la présence pressentie du créateur commun de tous les êtres, et faire l'expérience de l'unité grâce à la puissance du sentiment de communion éprouvé lors du culte d'adoration rendu à la divinité.
Dans la continuité du rêve du sac noir et à la suite des échanges et commentaires qui en ont découlés, voici un petit détour par le Yi-King ou Livre des Transformations, dont les origines selon Richard Wilhelm (ami de Jung soit dit en passant...), auteur d'une traduction éditée aux éditions Médicis (traduite de l'allemand par Etienne Perrot publiée pour la première fois le 20 décembre 1968), remonteraient à une antiquité mythique (plus de trois mille ans).
Le plus ancien livre de la Chine en est aussi le plus moderne. Le Yi King offre à l'homme une clé intemporellement neuve pour pénétrer l'énigme de son destin. Il nous entraîne, au-delà de toute théologie comme de tout système philosophique, à un degré de profondeur limpide où l'oeil du coeur contemple l'évidence du vrai. L'unité est le fondement de l'univers. Mais pour être fécond, le T'ai Ki (Le Grand Commencement) doit se sacrifier en se dédoublant, car "à partir de ce qui est parfait, rien ne devient". Le monde ne nous révèle que le jeu de deux forces polaires, le mâle et la femelle, le plus et le moins, leurs épousailles et les dix mille êtres qui en sont les fruits. Le génial créateur des hexagrammes a su ramener cette variété sans limites à un schème mathématique enserrant la création comme un réseau, ou plutôt formant la trame qui la supporte et l'anime. Les soixante-quatre hexagrammes groupant deux à deux les huit trigrammes obtenus en combinant de toutes les manières possibles les deux énergies primordiales constituent une image complète du monde. On conçoit l'admiration de Leibnitz pour une telle épure.
(...)
Semblable vision requiert plus qu'un entraînement de l'intellect: elle implique une transformation du regard, c'est à dire de l'être tout entier, car si l'oeil est simple, tout le corps devient lumineux.
Les commentateurs du Yi-King attestent au long des siècles l'existence d'une telle race de "saints sages". Ils affirment que la fréquentation du Livre est un moyen de choix pour apprendre à lire l'ordre de l'univers et, tout en même temps, établir l'harmonie en soi-même.
Si nous connaissons les lois fixes de l'être et du devenir, rien ne nous surprend, rien ne nous affecte en notre fond le plus intime: nous savons qu'il n'est pas d'acquisition définitive; tout moment est passage, l'apogée contient en germe le déclin, la défaite prépare la victoire future, la retraite est souvent la meilleure préparation du retour. Ainsi nous nous gardons de nous identifier à l'extrémité heureuse ou malheureuse où le sort nous a portés pour considérer toujours en elle la présence secrète mais déjà en oeuvre du pôle contraire.
Ne cessant de "marcher au milieu" nous sommes à l'abri des surprises du destin. On reconnait ici l'attitude de détachement, de souple abandon dans laquelle tous les enseignements voient le terme de l'homme: perte constante et féconde où l'être possède le tout, paisible non-savoir qui surpasse toute intelligence.
Tel est le secret de sagesse du Yi-King. C'est en cela qu'il a été une source d'infinies méditation pour Lao-Tseu et Confucius.
(...)
Dès lors il est vain de se demander si le Yi King est un livre sapientiel ou un simple recueil divinatoire. Le sage connaît l'avenir. Non qu'une sorte de film mental lui en projette les images. La réalité est beaucoup plus dépouillée: totalement présent à l'instant où il est placé, il en déchiffre les composantes; il voit les germes dont le moment est gros et oriente ainsi, comme d'instinct, son action.
Un savoir aussi subtil ne peut, on le comprend, s'exprimer en langage conceptuel et logique. La vision du monde qu'il traduit est aux antipodes de celle de l'Occident. Notre science est analytique: elle isole soigneusement le phénomène étudié de son contexte; celle de l'Orient est synthétique: elle apprend à tout embrasser d'un seul coup d'oeil est à lire les rapports.
Dans l'immense symphonie du monde, nous nous appliquons à écouter les différents instruments l'un après l'autre, nous interdisant par là de saisir le sens de la partition. La sage chinois, au contraire, laisse monter à la fois tous les chants, ne négligeant pas la plus humble note de la timbale et du triangle. Chaque être, chaque instant pris dans son intégralité est un visage de Tout,, une facette de l'unité indescriptible.
"La transformation, dit un commentateur, c'est l'immuable".
Pour transmettre cette connaissance il n'est d'autre véhicule que l'énigme, expression paradoxale qui rassemble en elle-même les opposés ou, par son absurdité apparente, oblige l'esprit à interrompre son discours linéaire, fait refluer le courant mental et le contraint à traverser des couches plus profondes, plus proches de ce centre indicible où les contraires célèbrent leurs noces éternelles.
(...)
Le vieil adage alchimique est ici à sa place: le Yi King ne se présente-t-il pas comme le premier Traité des transmutations? Et, certes il ne livre pas plus facilement ses secrets qu'un grimoire.
Mais rien ne résiste à la simplicité confiante des coeurs épris de sagesse: "si tu n'as pas de maître, nous est-il dit, approche-toi du Livre comme de tes parents". Et une autre parole plus proche de nous vient faire écho à ce conseil, pour l'éclairer: "si l'un de vos enfants vous réclame du pain, lui donnerez-vous une pierre? Combien plus votre Père Céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent"(Luc XI,11-12).
Extrait de la Préface d'Etienne Perrot du Yi Kin traduit par Richard Wilhelm aux éditions Medicis
Respiration par Image-in
En écho à votre billet, Nout, ces quelques mots de Jung auquels je trouve également beaucoup de sens :
RépondreSupprimer«.......L'antique sagesse de l'Orient met l'accent sur le fait que l'individu intelligent est conscient de ses propres pensées, mais pas le moins du monde de la manière dont il l'est. Moins nous réfléchirons à la théorie du Yi King, et plus nous dormirons tranquilles. Il me semble qu'à l'aide de cet exemple, un lecteur sans préjugé peut maintenant être en mesure de former au moins un essai de jugement sur le fonctionnement du Yi King. On ne peut pas en demander davantage à une introduction. Si, par cette démonstration, je suis parvenu à élucider la phénoménologie psychologique du Yi King, j'aurai rempli mon propos. Quant aux milliers de questions, de doutes, de critiques que soulève ce singulier ouvrage, je ne puis y répondre. Le Yi King se présente avec des preuves et des résultats ; il ne se vante pas, il n'est pas d'un abord aisé. Constituant un élément de la nature, il attend, comme tel, qu'on le découvre. Il n'offre ni faits, ni pouvoirs, mais, pour les êtres épris de connaissance de soi et de sagesse — s'il en est —, il paraît être le livre adéquat. A l'un, son esprit semblera aussi lumineux que le jour; à un autre, chargé d'ombre comme le crépuscule ; à un troisième, obscur comme la nuit. Celui à qui il ne plaît pas n'a pas à l'utiliser, et celui qui est contre lui n'est pas obligé de le trouver véridique. Puisse-t-il s'avancer dans le monde pour le bénéfice de ceux qui savent discerner sa signification . »
C.G.Jung – Préface à l’édition anglaise du Yi King - « commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or » Éditions ALBIN MICHEL (Traduit de l’allemand par Étienne Perrot)
Amezeg :-)
Respiration :
RépondreSupprimerJe goûte et j’aime, de longue date, l’alternance inlassable des marées, la respiration marine couvrant et découvrant l’estran des magnifiques rias bretonnes... :-)
Amezeg
Merci Amezeg pour cet extrait de Jung que j'apprends à connaître peu à peu et qu'il me semble en vérité re-connaître tant tout ce qui se rapporte à sa voie m'est familier.
RépondreSupprimerDe même qu'ouvrir une page au hasard dans le livre jaune du Yi King m'offre un aperçu toujours neuf et donc parfaitement adapté à l'instant...
Comme cet hexagramme qui tombe à point, découvert tout à l'heure et qui rejoint bien le contenu du "sac":
http://wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?l=Yijing&lang=fr&no=36
Le soleil s'est enfoncé sous la terre et s'est donc obscurci. Le nom de l'hexagramme signifie proprement « le fait de blesser ce qui est lumineux », et c'est pourquoi les différents traits parlent souvent de blessure...
Quant au mystère qui doit envelopper le sens du Yi King, il rejoint pour moi tous ces mystères que les humains ont laissé en retrait de leurs quotidiens, des choses hautement inutiles comme la poésie, le conte, le rêve...et qui pourtant sont la clé même de leur humanité.
Il est vrai que les mouvements marins sont plus évidents par chez vous qu'en Méditerranée. ;)
Mais je goûte particulièrement le bruit du ressac, du va et vient des vagues contre les rochers. Ce mouvement de la Mer (mère) qui berce l'âme et la lave de toute la poussière qui l'encombre.
Il suffit d'accorder tout son être à la respiration du monde pour devenir réellement vivant.
C'est peu de chose et pourtant... :)
hello Nout,
RépondreSupprimermerci d'avoir évoqué ce livre ici.
Je fais de temps en temps des tirages (avec des pièces de 2 centimes d'euros ;) ). Cela m'apaise, à ce moment alors je me mets dans un état assez particulier, à la fois de détente et de tension. Je deviens question, même si je sais être aussi la réponse. Alors l'hexagramme se forme, avec ses traits mutants. C'est très surprenant de pertinence et j'en apprends à chaque fois !
et merci Amezeg de nous donner à lire tes réflexions, te lire est toujours très éclairant !
bonne semaine :)
Tout cela me fait penser à une phrase, je ne sais plus de qui, laquelle en substance dit ceci :
RépondreSupprimerLe seule chose qui ne change pas, c'est que tout change, toujours.