jeudi 19 mai 2011

Éloge au regretté "Nouvelles Clés" (ancienne formule)

N°62 : Rester émerveillé


J'ai découvert le magazine Nouvelles Clés alors que j'étais au lycée. Je devais avoir seize ans. Je l'ai acheté par hasard intriguée par les titres sur la couvertures qui tranchaient avec tous les autres magazines soigneusement rangés par catégories. Je ne comprenais pas bien cette singularité, ces sujets hors normes, mais cela m'attirait, ça me chatouillait l'esprit. Quelque chose en moi remuait. J'avais l'impression étrange d'avoir découvert un secret, bien caché derrière toutes ces couvertures en papier glacés, une sorte de message qui n'était destiné qu'à moi seule parce que je n'imaginais pas alors d'autres sentir ce que je sentais...En plus, il était difficile à trouver. Peu distribué à l'époque. Ce qui ajoutait encore à sa valeur. 

Je n'avais pas la maturité de comprendre tous son contenu  mais cela n'avait pas d'importance. Je le lisais, le parcourais, aimant cette façon nouvelle de présenter le monde. Un monde singulier qui m’émerveillait, sans pub, sans trace de cette civilisation hypocrite fondée sur le profit et l'apparence... j'étais en pleine crise de rébellion! Cependant, la rébellion que proposait Nouvelles Clés était une révolte fertile, une sorte de révolution lente qui germait d'abord à l’intérieur de soi. Cet intérieur sauvage et inexploré, un peu effrayant, que j'apprenais à découvrir. Cela différait de tout ce que j'avais appris à l'école. C'était pourtant selon moi quelque chose d'essentiel, de primordial, cette exploration de l'être. Et tellement moins ennuyeux.
Grâce à ce magazine, j'ai pu lire des témoignages ou entrevues d'auteurs inestimables (Jacqueline Kelen, Annick de Souzenelle, Chistiane Singer, Arnaud Desjardins...), des rubriques courtes mais d'une profondeur inégalable (Denis Marquet entre autres que je viens de redécouvrir chez Chronophonix) qui offraient une approche de la vie unique et pleine noblesse.

J'ai perdu ces premiers numéros avec regrets. Mais j'y suis revenue plus tard. Et cette fois, je les ai soigneusement gardés. Même si je n'aime pas m'encombrer, ou accumuler, préférant laisser l'espace de vie à l'image de l'esprit "pleinement" vacant, "Nouvelles Clés" ancienne formule mérite d'être accumulé.

Et j'ai bien fait.
Le changement brutal de formule d'octobre dernier m'a tout d'abord surprise mais, confiante, j'ai acheté le numéro sans même le parcourir.
Ce fut ensuite une dégringolade, une déception inévitable et pour finir, un renoncement définitif à tout ce qui faisait l'intérêt de ce magazine. Mais tenons-nous en aux faits:
- d'abord l'accumulation de publicités (près de 40 pages par numéro) avec des annonceurs très "ciblés" comme le souligne Marc de Smedt: « annonceurs prestigieux, validant la pertinence de nos idées » dans son edito qui annonce la couleur non sans une solide langue de bois...Donc voici au hasard des pages les annonceurs en question qui "valident la pertinence de leurs idées", en vrac: C*ca Cola, Ch@nel, €df, M@c Don@ld etc. Effectivement des annonceurs très portés sur la question de l'écologie, du spirituel et du vivant...
- un nouveau financement et rédacteur en chef: Jean-Louis Servan Schreiber et son épouse, Perla,  "réanimateurs" en série de magazine en manque de profits, comme le magazine Psychologie "remis à flot" en 1997 par leurs soins et qui semblent beaucoup s'amuser:  
« Nous aimons ce métier, cela nous amuse, il n'y a donc pas de raison de continuer tant que nous en avons l'imagination. Par ailleurs, s'agissant du marché, je crois qu'on peut encore faire des choses en presse écrite, innover, si l'on sait les cibler. Nous avons découvert avec Psychologies Magazine que nous tenions là un créneau qui n'était pas encore exploité, même pas décelé. Il s'est révélé. Nous aimons chercher cela comme d'autres aiment chercher les champignons» Source Le Figaro (je dis ça, je dis rien...) 
Précisons qu'avant de s'attaquer à "Nouvelles Clés", Jean-Louis Schreiber a vendu sans états d'âme "Psychologie" au groupe Lagardère... Mais ne soyons pas régressiste et restons en phase avec notre temps...qui passe, semble-t-il,  Trop vite selon le dernier ouvrage  de Schreiber aux éditions Albin Michel...tu m'étonnes...pas le temps pour déshumaniser et capitaliser le monde en une seule vie...D'ailleurs, Perla précise: "ce titre se présente en outre comme le premier magazine « slow-chic » : « Slow, parce que « Clés », publié tous les deux mois, proposera une autre temporalité, un instant pour ralentir. Chic enfin, parce que pour être utile et utilisé, il faut qu'il soit beau, esthétique »" Source Le figaro
- des sujets qui se veulent, toujours selon le nouveau rédacteur en chef (je n'invente rien), sortir de l'actualité et aider le plus grand nombre (afin de faire monter le chiffre et le CAC 40 et faire ainsi d'une pierre, deux coups...) à retrouver du sens, formule vague si il en est:
 Clés vise «à aider les lecteurs à s'y retrouver. Le XXIème siècle est devenu extrêmement foisonnant [en information]. Nous sommes bombardés en permanence d'informations qui s'empilent et nous désorientent. Nous n'avons pas le temps de réfléchir. C'est pourquoi ce magazine permet de prendre un peu de recul, de tranquillité» Source Le figaro
Alors, pragmatique que je suis, je feuillette le magazine d'avril-mai 2011 et quels sujets je découvre? 
*Une double page sur la révolution tunisienne avec une énorme photo percutante et peu de texte (histoire de réfléchir un peu et de prendre du recul, par exemple comprendre pourquoi nos élites ont tant couverts pendant 40 ans le dictateur détrôné...).
*Une autre sur les "Islamistes" (autre sujet bien d'actualité) ou plutôt sur la charia, qui omet dans son titre réducteur, de préciser que char'ia signifie simplement la loi proposée par Dieu pour les hommes, donc dire que la charia n'est pas le Coran ( qui est Révélation de Dieu en Islam) c'est faire une contresens...étrange.
*Comment redonner du rêve à notre jeunesse?: "Nos jeunes sont pessimistes..." et l'enjeu philosophique serait, non pas de donner à la jeunesse la possibilité de changer la donne, de leur permettre de changer une réalité plutôt catastrophique (quand on regarde bêtement la situation géopolitique, économique et écologique du monde) mais de...rêver. Oui, vous avez bien lu, des générations de philosophes, de sages, de prophètes qui ont exhortés l'homme à s'éveiller, à s'extraire d'un rêve stérile, d'une course au plaisirs débilitante, balayés d'un seul coup par (et là accrochez-vous) de vrais spécialistes de la question:  un HAUT fonctionnaire de l'état, et un patron français atypique. "Génération gâtée qui a perdu ses illusions"... Pourquoi suis-je la seule à me réjouir de cette perte d'illusion?...Cet article est un condensé d'humour noir, je vous en cite des extraits en vrac qui m'ont bien fait rire (et je ne suis pas un public facile...;) ):
"Ils (les jeunes gâtés qui perdent leurs illusions) ne doivent pas attendre que nous leur donnions la liberté: ils doivent créer leurs espaces de liberté. peut-on leur apprendre?"
"L'obsession de trouver un emploi a remplacé les utopies" (excusez-les de vouloir manger et survivre dans une société où tout passe par l'argent, c'est à dire l'utopie que ces messieurs semblent pratiquer: "en avoir ou pas"...) 
"Un diplôme ne garantit plus un avenir, aussi les jeunes semblent perdre la volonté de se battre"
"L'argent ne suffit plus à motiver une carrière: sens et éthique deviennent des critères de choix d'une entreprise" 
Bref, du cynisme à la Pierre Desproges... 
* Témoignage de Victoire en prépa: "Deux ans, c'est court pour devenir quelqu'un"...avec d'autres perles aussi partisane d'un matérialisme libéralisme forcené, soigneusement mises dans l'encadré Clés en marge de l'article: "Renoncer à des loisirs pour atteindre un objectif supérieur n'est pas une frustration.", "Sans travail ni volonté, pas de génie", "Loin d'être démodés, travail et rigueur restent des valeurs pour les jeunes"..."travailler plus pour gagner plus..." Non cette dernière perle n'est pas dans cet article...
Je dois avec regret ou un piètre soulagement constater que si je devais ôter les pages inutiles (à recycler), je ne garderais que la double page de la rubrique Passeurs de sens où l'inestimable plume de Christian Bobin témoigne de rencontre avec Ernst Jünger.

Mais deux pages sur 163, dont le quart n'est que pub, ça reste coûteux pour un magazine à 5,00 €...Quoique Christian Bobin le vaut bien...Mais voilà que je reprends une formule de mauvais goût...

Ne m'en voulez pas du ton acerbe de ce post. Je ne peux me résoudre à tourner la page sans rien dire. Bien sûr, je reste positive: cette nouvelle formule va me faire économiser 5 euros bimestriellement, et je vais cesser d'encombrer mes placards de magazines accumulés au fil des ans... Je vais rester légère, légère.

Mais l'éveil ne signifie pas résignation, et encore moins soumission face au mensonge et à la marchandisation de ce qui ne se vend pas. Au contraire, l'éveil consiste à regarder les choses telles qu'elles sont, sans concession ou émotion mal placée. Les faits sont là et il ne sert à rien de les nier. Après vient l'acceptation.


PS: Les vieilles clés du magazines Nouvelles Clés 

12 commentaires:

  1. Quelle joie pour moi de lire ce billet. J'ai été profondément choquée lorsque j'ai eu le premier numéro de la nouvelle formule, je n'arrivais pas a y croire.

    La "nouvelle" formule n'était que l'exact contre-pied de l'ancienne, bling-bling et verbiages creux. Le summun : La pub pour le pendentif "Clés" de Tiffany ! Humour noir, ou lapsus ?

    Alors merci pour ce message salutaire, et surtout pour tout ce que je découvre ici.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. tout à fait d'accord CLES une horreur de pub, des articles courts inintéressants.
      n'alimentons pas le bizness !
      je viens de découvrir une revue qui s'appelle INEXPLORE de l'INREES, j'adore !!
      un autre monde plus humain, une ouverture de la conscience, des recherches scientifiques prouvées qui dérangent ..... comme tout ce qui est hors des normes
      formatées !! La vérité n'a pas bonne presse et dérange les pouvoirs !!!
      Un monde humain est accessible si nous marchons hors des "dictats" et ignorons le bizness.

      Supprimer
  2. Merci chère Claudine,

    ta réaction aussi me rassure car je trouvais le silence sur la toile à ce sujet...assourdissant...
    J'avais besoin de le dire!

    "Le summun : La pub pour le pendentif "Clés" de Tiffany ! Humour noir, ou lapsus ?"

    Humour noir, Claudine, humour noir! Les élites de ce monde en sont férus...

    Au plaisir de te lire à nouveau! :)

    RépondreSupprimer
  3. Ben, sur ce sujet aussi...on se rejoint !

    Je regrette énormément l'ancienne formule, qui était extrêmement originale et intéressante, "décalée" par rapport au reste de la presse..., d'une profondeur et d'une liberté assez étonnantes, rafraîchissantes...
    J'avais même racheté d'anciens numéros et je les relisais avec grand plaisir...

    Et puis j'ai reçu le premier numéro de la nouvelle formule, et dès les premières pages, j'ai "décroché"...ce ne sont plus que des articles tièdes et sans saveur, construits pour "cibler" une clientèle vaguement "psy" ou "spi"...
    Bref, c'est insipide !
    Et je n'ai pas attendu le deuxième numéro...pour me désabonner, je l'ai fait ILLICO !

    Ton article me confirme que j'ai eu raison...

    RépondreSupprimer
  4. Je te reconnais bien là chère Licorne! :)

    RépondreSupprimer
  5. Adieu donc aux chroniques de Denis Marquet...(je n'ai plus acheté NC depuis le numéro 64, et je découvre ici ce qu'il est advenu à cette revue)

    RépondreSupprimer
  6. Justement je l'ai vu parmi d'autres revues, et je me suis dit : Tiens une nouvelle formule, ou un nouveau magazine qui utilise le même mot "clés". Mais je n'ai pas été attiré et ne l'ai pas ouvert. Finalement j'ai bien fait en lisant les explications. Restent les anciens Nouvelles Clés...

    RépondreSupprimer
  7. Je partage ton ressenti, quel dommage, mais faisons confiance à la vie, d'autres journaux de qualité émergeront et celui-ci disparaitra...
    Cela s'appelle "l'impermanence des choses" !
    Belle et lumineuse journée. brigitte

    RépondreSupprimer
  8. Vieille serrure18 juin 2011 à 22:37

    Merci d'avoir mis des mots sur ce que tant de lecteurs de feu Nouvelles-Cléa ont dû ressentir en voyant un raz-de-marée de diamants, champagne et autres clinquants spiritu...eux envahir les pages de leur magazine favori.
    Ma 15ème année d'abonnement aura donc été la dernière et ma collection de tous les numéros moins quatre n'en sera que plus savoureuse à revisiter.
    Chapeau et merci aux pionniers de Nouvelles-Clés qui nous ont nourris si longtemps de leur effort sur des chemins moins fréquentés. Quant à Clés et ses pages lourdes d'encres à grande empreinte écologique, on a au moins eu la lucidité de l'amputer du qualificatif "nouvelles" que ne mérite plus un magazine BCBG rentré dans le rang de la culture dominante de l'image.
    To everything turn, turn, turn...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, avez-vous toujours vos numéros Nouvelles Clés ? je cherche désespéremment à les lire .... ne serait-ce que les lire ...
      Virginie.

      Supprimer
  9. je voulais aussi témoigner de la même déception que j'ai ressenti à la nouvelle formule abandonnée bien évidement depuis. Je relis et relis régulièrement les Nouvelles Clé verison ancienne, d'une richesse incomparable. Tout est parfaitement résumé dans ce papier
    J'avais d'ailleurs écrit à la rédaction pour exprimer ma déception à la lecture de cette sauce fade, pseudo spirituelle à 2 balles....
    Quel dommage.
    Depuis , j'ai découvert Inexploré , qui n'a pas encore été racheté par lJean-Louis Servan Schreiber et son épouse...
    le libéralisme souille tout ce qu'il touche....

    RépondreSupprimer
  10. Lorsque Clés est arrivé l'amie qui y était abonnée avait droit à encore deux numéros mais un seul a suffi pour qu'elle se fasse une opinion sur Clés et elle ne s'est pas réabonnée. Je n'étais moi-même pas très convaincue par ce nouveau journal mais je ne voulais pas abandonner si vite ! Alors j'ai pris un prétexte d'un abonnement à moitié prix pour me réabonner sur deux ans. Cela fait un an maintenant. J'ai lu scrupuleusement tous les articles et je suis à présent bien écœurée par toute cette pub luxueuse, ces articles sans fond et ces soi-disant chefs d'entreprises "éthiques" ! Je me désabonne pour l'année qui me reste, je n'ai pas de temps à perdre à lire des balivernes !
    Merci à l'auteur de cette belle lettre.

    RépondreSupprimer