Frida Khalo - Le cerf blessé
La barbe bleue est tellement noire, d’un noir si profond et si éclatant, qu’elle en paraît bleuté. Cette parure sur le visage de l’obscur personnage central du conte trahit certainement la noirceur de son âme.
Pourquoi la jeune fille finit-elle donc par l’épouser?
Dans Femmes qui courent avec les loups, Clarissa Pinkola Estés, décrit Barbe-Bleue comme l’ombre en soi à reconnaître et à combattre. Le prédateur de l’âme qui semble vouloir saper tout sursaut vers la lumière et la reconnaissance de soi. Le Barbe-Bleue de mon histoire a été sans aucun doute mon propre père. Je me souviens enfant cette impression qu’il me faisait, cette peur quand il me regardait avec ses yeux noirs. Je n’y trouvais aucun amour. Son regard était un grand miroir stérile où je me perdais. Mais bien sûr il n’était pas question que je l’épouse. Et pourtant, il fallait bien ça pour que me soit confiée la clef, cette clef mystérieuse et ensanglantée qui ouvrait sur la part de moi que je ne pouvais voir.
Barbe-bleue est donc revenu sous les traits d’un autre homme, et cette fois comme la jeune fille du conte, je n’ai voulu voir en lui que la sécurité qu’il pouvait m’apporter. Une sécurité pas seulement matérielle, mais surtout psychique. Comme si cette interdiction d’utiliser la clef allait me protéger de moi-même. J’ai donc épousé Barbe-Bleue.
J’ai ouvert la porte de la chambre interdite et j’ai pu contempler l’étendue du massacre; tant d’année à me chercher dans un regard dénué d’amour.
Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
J’ai cherché vers tous les horizons ce qui pouvait me sauver de cette vérité. Barbe-Bleue est rentré et il m’a tirée par les cheveux pour me tuer. Et j’ai cru que j’allais mourir.
Et là je me suis éveillée.
L’ombre, sous les traits de Barbe Bleue, est le mensonge que nous avons patiemment bricolé pour nous préserver de la chambre interdite. De notre vérité. Il faut parfois passer par le démantèlement total de l’être pour en extraire le squelette, l’essence vive et inaltérable. Et découvrir qu’au fond, ce que l’on est réellement, ne peut être détruit.
Une vraie douleur, n'est-ce pas, quand on ouvre la porte et qu'on aperçoit l'étendue du carnage...intérieur !
RépondreSupprimerComment nous pouvons, nous, les femmes, nous jeter "dans la gueule du loup", aller là où nous n'avons aucune chance d'être reconnue, aimée, aidée...
Comment nous pouvons nous illusionner pendant des années sur la réalité de la situation...c'est un "mystère", parfois !
(Je suis aussi tombée dans ce piège, évidemment, sans parler de tous les "auto-sabotages" pratiqués pendant des années, en voulant "bien faire", en cherchant la sécurité, la reconnaissance, en voulant "ne pas déranger", "être conforme"...)
Faut-il cela pour que nous trouvions (enfin) le courage de dire "non" et d'aller vers nous-mêmes ?
On peut se le demander...en tout cas, le côté positif, c'est qu'une fois la leçon "comprise" , on n'y retourne plus...
A la fin de l'histoire, la femme de Barbe-bleue "hérite de tous ses biens", je crois...ce qui veut bien dire qu'il y avait des richesses à tirer de cet épisode "tragique" !
Oui, cette richesse sous-jacente à toute souffrance est à recueillir avec soin, avec conscience. Sachant cela, nous pouvons avancer en toute confiance et les yeux bien ouverts...
RépondreSupprimerOui et Oui à vous deux !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
RépondreSupprimerTon dernier paragraphe m'évoque l'arcane sans nom du tarot de Marseille. Il faut mourir pour renaître à soi-même, et s'apercevoir qu'en fin de compte il reste toujours "l'essence-ciel". Qu'il est long et difficile le chemin qui mène à l'Amour, que d'errances pour finir par comprendre qu'il n'est pas à chercher ailleurs qu'en Soi ... Pour ma part j'ai fuit aussi une relation mortifère dans laquelle mon être étouffait. Je suis sur le chemin de la liberté intérieure, mais je lutte encore contre la crainte des schémas répétitifs et aliénants. À la différence près qu'aujourd'hui j'ai les yeux ouverts, et que je ne pourrai plus les refermer. Je prie donc pour rester en éveil.
RépondreSupprimerMerci pour tes textes qui m'accompagnent sur ce chemin où nous nous croisons si souvent !
Je reconnais bien ce que tu décris. Ce que je fais des contes est une lecture intuitive; j'essaie de me référer à cette connaissance naturelle qui se révèle à nous quand on l'écoute...Cela marche très bien aussi pour les cartes, les tarots sont véritablement initiatiques!
RépondreSupprimerUn éveillé à dit un jour que l'éveil était comme le vélo. Une fois qu'on y a goûté, on ne l'oublie plus... :)
Il se peut que je m’égare, mais voici ce que cette histoire me conte... :
RépondreSupprimerLa mystérieuse, la fascinante,la numineuse Barbe bleue indique bien, à mon sens, que ce personnage « appartient » au monde de l’au-delà, au monde intérieur, en langage psychologique : à l’inconscient. Cette figure ou présence intérieure exerce une telle fascination que la plus jeune sœur l’épouse. La Barbe bleue, qui entoure la bouche, me suggère que ce qui sort de cette bouche poilue, les paroles qu’elle prononce, sont marquées par l’aspect non maitrisé (par le rasoir), par l’aspect incontrôlé de cette nature inconsciente. Cela évoque donc, à mon avis, la façon dont plus d’une femme tombe sous la coupe d’un animus négatif, d’un masculin intérieur non identifié comme tel qui parle alors par sa bouche (à elle), proférant toutes sortes d’opinions péremptoires, de généralisations abusives, etc. Ce qui, réellement, tue un grand nombre de femmes, parce que cet esprit négatif prend alors le contrôle de leur vie et les empêche d’établir en elles-mêmes un dialogue fécond entre masculin et féminin, ce qui les prive d’une grande part de leur authentique créativité. Cet animus Barbe bleue ne leur permet pas d’entrer dans une découverte des ressources positives inconnues qui se tiennent dans l’ombre de leur personnalité consciente. L’animus étant pour une femme l’interlocuteur et l’intercesseur privilégié avec l’arrière-plan inconscient, il doit être « en bon état » pour que l’échange avec lui soit fécond, pour que la vie de la femme en soit enrichie, augmentée et non pas tuée.
La petite clé confiée à l’épouse semble être tout autant la chance offerte à celle-ci de commettre une « felix culpa », une heureuse faute ou heureuse désobéissance, qu’être la possibilité de renforcer encore le pouvoir de l’animus négatif. Après tout, Barbe bleue pourrait se contenter de tuer sa nouvelle épouse et s’empresser d’en trouver une autre. C’est comme si la nature-animus attendait de la femme qu’elle soit héroïque et délivre l’animus du rôle purement négatif qu’il a tenu jusque là dans sa personnalité, dans sa vie. Comme si l’animus négatif lui proposait d’œuvrer à l’émergence de l’animus positif. Sous peine de mort...
Le sang sur la petite clé trahit l’épouse, mais il affirme peut-être également que la vie peut reprendre, qu’on ne l’efface pas aussi facilement. Elle s’accroche.
La clé dans la serrure est, de plus, un symbole du masculin dans le féminin.
La sœur Anne semble être une part de la femme qui n’est pas tombée sous la coupe de l’animus et peut-discerner au loin l’existence du masculin intérieur positif (sous son aspect double, les deux frères) qui s’approche peu à peu de la conscience et va changer la situation.
Sainte Anne est l’épouse de Saint Joachim (!), elle est la mère de Marie et la grand-mère de Jésus. La sœur Anne semble bien être celle qui « voit venir de loin » les Noces sacrées (hiéros gamos), conjonction du Soleil et de la Lune) et leur Fruit Divin.
Toute femme qui est, à son insu, l’épouse de Barbe bleue, risque fort de rencontrer bien des difficultés dans sa relation avec les hommes extérieurs, bien sûr.
Interférences au programme...
Amezeg
Vous ne vous égarez point Amezeg. Vous semblez au contraire trouver le chemin qui nous relie. Vous suivez le fil d'Ariane et le mettez en mots avec une facilité déconcertante.
RépondreSupprimerCe que vous dites là me touche profondément et m'inspire beaucoup de choses.
Cela éveille un souvenir en particulier qui me revient à l'évocation de cette clé ensanglantée...
J'avais quatorze ans environ. Il faisait nuit et je restais seule dans la pénombre derrière les volets entrouverts de ma chambre.
J'avais volé une cigarette dans le paquet de mon père et l'avais allumée.
Je ressens encore la sensation de la première bouffée, ce goût de forêt dans ma bouche, un goût sauvage, interdit.
En moi, il faisait aussi sombre que dehors. J'étais remplie d'un grand silence, un silence froid, comme si j'étais vide. Je me remplissais de cette fumée qui sentait un peu mon père comme si je voulais être remplie de lui. C'était une façon pour moi de comprendre cet inconnu qu'il représentait, cette incompréhensible in-différence de celui qui m'avait engendrée.
Mon père avait les yeux noirs de Barbe-Bleue à défaut de sa barbe. Mais des yeux qui ne vous regarde pas.
Et cette cigarette était une façon de me donner à lui, de céder au piège de cet animus négatif à défaut de pouvoir être aimée de lui.
Comme un enfant qui se trouve face à l'énigme du monde, des adultes et qui, à défaut de pouvoir comprendre se met à l'imiter.
Imiter pour comprendre. Se glisser dans la peau de l'autre, cet autre si éloigné de soi, qu'il semble répondre à un code indéchiffrable. Et c'est poignant parce que cet autre détient la clé.
La clé de sang qui ouvre la porte sur le carnage ou la libération. Cette clé de trahison de soi envers soi.
Cet animus négatif, ce barbe-bleue, m'a poursuivi sans relâche comme le loup du Petit Chaperon Rouge, portant tous les masques, usant de toutes les ruses, ce loup dont j'avais si peur enfant et qui se glissait dans tous mes rêves, rôdait autour de mon lit.
Je l'ai entendu une nuit, alors que terrifiée, j'appelais ma mère, à l'autre bout du couloir. Il a poussé un grognement étrange, inhumain, me signifiant sa présence.
J'ai fui mais il m'a rattrapé au moment où je croyais l'avoir semé, au croisement des chemins. Il m'a en quelque sorte mise à mort.
Il a ouvert la porte de mes ténèbres et j'ai du les regarder en face. Tout ce sang, cet héritage carnassier...
Quand vous évoquez cet animus qui parle par "sa bouche à elle", j'entends très précisément ma mère..."les hommes sont tous pareils"...ses remarques moqueuses...
La soeur de ma mère se prénomme Ann(i)e pour continuer dans la lignée des prénoms récurrents...tel Joaquim. Mais c'est l'antithèse de la soeur Anne qui "voit venir de loin".
Oui donc interférences au programme car j'ai en effet fréquenté Barbe-Bleue intérieurement et extérieurement. C'est ce qu'on appelle la blessure originelle. Celle par laquelle nous franchissons le seuil soit de la destruction soit de la libération.
J'ai expérimenté les deux.
Merci.
Nout
Merci Nout pour cet écho si personnel et si pertinent.
RépondreSupprimerPour l’anecdote, j’ai moi aussi le souvenir très précis d’une cigarette fumée à l’âge de quatorze ans dans des circonstances bien particulières. L’âge des expériences interdites, des initiations périlleuses...?
Amezeg :-)
J’ai parlé de l’aspect non maîtrisé ou incontrôlé de la nature inconsciente. Les mots maîtrise et contrôle peuvent toutefois prêter à confusion. Il s’agit en réalité d’entrer dans un échange conscient avec l’inconnu en nous, pour éviter son débordement irrépressible et sans mesure qui nous conduit à être emportés à notre insu et malgré nous. En entrant de notre plein gré dans un échange conscient avec la profondeur, nous créons la possibilité d’un écoulement plus paisible et plus mesuré de ce flot de vie profonde. il ne submerge plus la conscience, il ne nous fait plus dire ou faire ceci ou cela « dans une belle inconscience ». Se mettre à l’écoute de ses rêves favorise cet échange et entretient, si l’on y persévère, l’établissement de cet écoulement fertile qui irrigue notre terre sans la noyer
RépondreSupprimerAmezeg
Je viens d'entamer mon premier livre de Jung, un peu grâce à vous je dois dire! :)
RépondreSupprimerDialectique du Moi et de l'inconscient...tout un programme.
Je n'avais guère le choix. J'attendais ma fille et hje suis rentrée dans une petite librairie de quartier. J'ai cherché le rayonnage "psy" et au bout d'une interminable file de Freud et de Lacan, j'ai trouvé ce folio de notre ami CGJung...
Il y a des choses intéressantes en résonances avec ma recherche actuelle. Cette histoire d'inconscient est fascinante. Freud le considérait comme une sorte de refouloir alors que Jung démotre qu'il est bien plus que même une fois entamé un travail psychothérapeutique afin de mettre en conscience tous nos aspects refoulés, quelque chose d'autre tente d'entrer en conscience, un échange qui semble venir d'ailleurs que de nous seul.
Cet échange conscient dont vous parler est l'étape suivante. La première est déjà un pas dans la canalisation de nos émotions, la seconde permet en effet d'équilibrer cet "écoulement fertile".
J'ai moi-même pratiqué la première étape, pour me libérer de certaines choses un peu lourdes qui m'empêchaient d'entrer de plein pied dans ma vie. Par ce biais, j'ai découvert le développement de la personne de Carl Rogers qui m'a fait l'effet d'une bombe. A partir du moment où l'être est écouté, compris, avec empathie, il ne peut qu'évoluer, se dépasser...
Je crois être quelqu'un qui génère un "flot de vie" assez puissant. Je ne sais si vous me comprendrez quand je dis ça. Disons qu'effectivement je n'ai pas eu assez de force ou de maîtrise pour canaliser tout ce flot d'informations qui me submergent constamment.
Je suis multi-fonction en quelque sorte, je peux gérer des infos simultanément, de façon très intuitives...mon cerveau droit est sur développé!...mais ça ne se voit pas hein! :D
Bref, j'entends très bien ce que vous me dites par contrôle et maîtrise; c'est le genre de maîtrise qu'on apprend dans certains arts martiaux, quand on utilise l'énergie sans la subir...Je rêve beaucoup et je me rappelle toujours de mes rêves. Pas une nuit où je me dis que je n'ai pas rêvé. Je dois avoir sans doute beaucoup de messages à recevoir! ;)
Il y a une petite phrase comme ça dans le bouquin qui m'a parlé tiens, je vous la copie:
..."l'inconscient continue imperturbablement à créer ses rêves et ses fantasmes, "(après avoir conscientisé ce qu'on refoulait...)" alors que ceux-ci, à en croire la théorie de Freud, devraient tarir puisqu'ils sont censés provenir de refoulements personnels qui ont déjà été défoulés.
Si en pareil cas, on pousse l'observation de façon systématique et sans préjugé, on découvre bientôt des matériaux qui, certes, ressemblent, pour ce qui est de la forme, aux contenus personnels précédemment rencontrés, mais paraissent aussi receler des allusions qui dépassent les plans personnels."
Ces allusions qui dépassent les plans personnels....voila qui est intéressant! ;)
Nout
« Je crois être quelqu'un qui génère un "flot de vie" assez puissant. Je ne sais si vous me comprendrez quand je dis ça. »
RépondreSupprimerJe n’avais vraiment pas remarqué ce « flot de vie » assez(!) puissant qui vous traverse...mais je vous promets de faire un gros effort pour comprendre ce que vous voulez dire... :D
« ...mon cerveau droit est sur développé!...mais ça ne se voit pas hein! » Je vous rassure : ça ne se voit pas du tout ! :-))
J’ai failli noter dans mon précédent commentaire : entrer dans une « dialectique » avec l’inconnu en nous, j’ai finalement noté « dans un échange ». Je vois que la dialectique était tout de même au programme de votre journée avec cet achat en librairie.
Amezeg
Eh, bien merci de faire autant d'effort pour me comprendre, Amezeg!!! Ça met du baume au cœur ! ;)
RépondreSupprimerJ'ai fait un rêve très beau cette nuit...